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Montaigne conservait le même genre de vie qu’il fût malade ou bien portant ; il fuyait la chaleur émanant directement du foyer. — Mon genre de vie est le même que je sois malade ou bien portant ; je fais toujours usage du même lit, mes heures ne varient pas, je mange et bois les mêmes choses ; je n’ajoute rien, seulement je me modère plus ou moins, suivant ma force ou mon appétit. Ma santé, c’est le maintien sans complication de mon état habituel. La maladie amène, il est vrai, une rupture d’équilibre dans un sens, mais si j’en croyais les médecins, ils le détermineraient dans l’autre, et, grâce à ma mauvaise fortune et à leur art, je serais alors complètement jeté hors de ma route. — Je ne crois à rien plus fermement qu’à ceci : Que je ne saurais être incommodé par les choses auxquelles je suis depuis si longtemps accoutumé ; c’est à nos habitudes à arranger notre vie comme cela leur plaît elles sont toutes-puissantes à cet égard, elles sont le breuvage de Circé qui transforme nos natures comme bon lui semble. Combien de nations, à trois pas de nous, estiment ridicule notre crainte du serein, qui nous paraît à nous avoir une action si nuisible ; et combien s’en moquent nos bateliers et nos paysans ! Vous rendez un Allemand malade en le faisant coucher sur un matelas, comme un Italien sur la plume, et un Français sans rideau et sans feu. L’estomac d’un Espagnol ne résiste pas à la manière dont nous mangeons ; ni le nôtre à boire comme les Suisses. — À Augsbourg, un Allemand m’a amusé en s’élevant contre l’incommodité de nos foyers, auxquels il faisait le même reproche que celui dont nous usons pour condamner leurs poêles ; et, en vérité, cette chaleur lourde, l’odeur qui, lorsqu’ils sont échauffés, se dégage des matériaux dont ils sont construits, portent à la tête chez la plupart de ceux qui n’y sont pas habitués ; c’est là un effet auquel j’échappe. Mais, en somme, la chaleur qu’ils donnent est égale, constante, pénètre partout ; ils ne produisent ni flamme, ni fumée ; on ne reçoit pas, comme chez nous, le vent qui s’introduit par le conduit de nos cheminées ; tout cela fait que ce mode de chauffage supporte bien la comparaison avec le nôtre. Que n’imitons-nous l’architecture romaine ? On dit qu’anciennement à Rome le feu se faisait en dehors et en contre-bas des maisons, d’où la chaleur se communiquait dans toute l’habitation par des tuyaux qui, logés dans l’épaisseur des murs, embrassaient tout le pourtour des locaux qu’ils devaient échauffer, ce que j’ai vu clairement décrit dans je ne sais quel passage de Sénèque. Mon Allemand m’entendant louer les commodités et les beautés de sa ville qui, certes, le mérite, se mit à me plaindre de ce que je devais la quitter, et, parmi les inconvénients que je devais rencontrer ailleurs, plaça en première ligne les maux de tête que les cheminées m’y occasionneraient, Il avait entendu quelqu’un s’en plaindre et s’imaginait que cela nous était particulier, ne s’apercevant pas par habitude qu’il en était de même chez lui. — Toute chaleur produite par le feu m’affaiblit et m’alourdit ; Evenus disait que le feu est le meilleur condiment de