Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/570

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Sit mihi quod nunc est, etiam minus ; vt mihi viuam
Quod superest æui, si quid superesse volent dij.

Mais les pertes qui me viennent par l’iniure d’autruy, soit larrecin, soit violence, me pincent, enuiron comme vn homme malade et gehenné d’auarice. L’offence a sans mesure plus d’aigreur, que n’a la perte. Mille diuerses sortes de maux accoururent à moy à la file. Ie les eusse plus gaillardement soufferts, à la foule.Ie pensay desia, entre mes amis, à qui ie pourrois commettre vne vieillesse necessiteuse et disgratiee. Apres auoir rodé les yeux par tout, ie me trouuay en pourpoint. Pour se laisser tomber à plomb, et de si haut, il faut que ce soit entre les bras d’vne affection solide, vigoureuse et fortunee. Elles sont rares, s’il y en a. En fin ie cogneus que le plus seur, estoit de me fier à moy-mesme de moy, et de ma necessité. Et s’il n’aduenoit d’estre froidement en la grace de la Fortune, que ie me recommandasse de plus fort à la mienne : m’attachasse, regardasse de plus pres à moy. En toutes choses les hommes se iettent aux appuis estrangers, pour espargner les propres : sculs certains et seuls puissans, qui sçait s’en armer. Chacun court ailleurs, et à l’aduenir, d’autant que nul n’est arriué à soy. Et me resolus, que c’estoient vtiles inconueniens : d’autant premierement qu’il faut aduertir à coups de foyt, les mauuais disciples, quand la raison n’y peut assez, comme par le feu et violence des coins, nous ramenons vn bois tortu à sa droicteur. Je me presche, il y a si long temps, de me tenir à moy, et separer des choses estrangeres : toutesfois, ie tourne encores tousiours les yeux à costé. L’inclination, vn mot fauorable d’vn grand, vn bon visage, me tente. Dieu scait s’il en est cherté en ce temps, et quel sens il porte. l’oys encore sans rider le front, les subornemens qu’on me faict, pour me tirer en place marchande et m’en deffens si mollement, qu’il semble, que ie souffrisse plus volontiers d’en estre vaincu. Or à vn esprit si indocile, il faut des bastonnades : et faut rebattre et reserrer, à bons coups de mail, ce vaisseau qui se desprent, se