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cement, les sains des malades : mais quand elles viennent à durer, comme la nostre, tout le corps s’en sent, et la teste et les talons : aucune partie n’est exempte de corruption. Car il n’est air, qui se hume si gouluement : qui s’espande et penetre, comme faict la licence. Nos armees ne se lient et tiennent plus que par simant estranger : des François on ne sçait plus faire vn corps d’armee, constant et reglé. Quelle honte ? Il n’y a qu’autant de discipline, que nous en font voir des soldats empruntez. Quant à nous, nous nous conduisons à discretion, et non pas du chef ; chacun selon la sienne : il a plus affaire au dedans qu’au dehors. C’est au commandement de suiure, courtizer, et plier : à luy seul d’obeïr : tout le reste est libre et dissolu. Il me plaist de voir, combien il y a de lascheté et de pusillanimité en l’ambition : par combien d’abiection et de seruitude, il luy faut arriuer à son but. Mais cecy me deplaist-il de voir, des natures debonnaires, et capables de iustice, se corrompre tous les jours, au maniement et commandement de cette confusion. La longue souffrance, engendre la coustume ; la coustume, le consentement et l’imitation. Nous auions assez d’ames mal nées, sans gaster les bonnes et genereuses. Si que, si nous continuons, il restera mal-ayseement à qui fier la santé de cet estat, au cas que Fortune nous la redonne.

Hunc saltem euerso iuuenem succurrere seclo,
Ne prohibete !

Qu’est deuenu cet ancien precepte : Que les soldats ont plus à craindre leur chef, que l’ennemy ? Et ce merueilleux exemple : Qu’vn pommier s’estant trouué enfermé dans le pourpris du camp de l’armee Romaine, elle fut vene l’endemain en desloger, laissant au possesseur, le comte entier de ses pommes, meures et delicieuses ? I’aymeroy bien, que nostre ieunesse, au lieu du temps qu’elle employe, à des peregrinations moins vtiles, et apprentissages moins honorables, elle le mist, moitié à veoir de la guerre sur mer, sous quelque bon capitaine commandeur de Rhodes : moitié à recognoistre la discipline des armees Turkesques. Car elle a beaucoup de differences, et d’auantages sur la nostre. Cecy en est : que nos soldats deuiennent plus licentieux aux expeditions : là, plus retenus et craintifs. Car les offenses ou larrecins sur le menu peuple, qui se punissent de bastonades en la paix, sont capitales en la guerre. Pour vn cruf prins sans payer, ce sont de conte prefix, cinquante coups de baston. Pour toute autre chose, tant legere soit elle, non necessaire à la nourriture, on les empale, ou decapite sans deport. Je me suis estonné, en l’histoire de Selim, le plus cruel conquerant qui fut onques, veoir, que lors qu’il subiugua l’AEgypte, les beaux