Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/560

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troune au propre, ie sens, que ma langue s’est enrichie, mon courage de peu. Il est comme Nature me le forgea. Et se targue pour le conflict, non que d’vne marche naturelle et commune. Les liures m’ont serui non tant d’instruction que d’exercitation. Quoy, si la science, essayant de nous armer de nouuelles deffences, contre les inconueniens naturels, nous a plus imprimé en la fantasie, leur grandeur et leur poix, qu’elle n’a ses raisons et subtilitez, à nous en couurir ? Ce sont voirement subtilitez : par où elle nous esueille souuent bien vainement. Les autheurs mesmes plus serrez et plus sages, voyez autour d’vn bon argument, combien ils en sement d’autres legers, et, qui y regarde de pres, incorporels. Ce ne sont qu’arguties verbales, qui nous trompent. Mais d’autant que ce peut estre vtilement, ie ne les veux pas autrement esplucher. Il y en a ceans assez de cette condition, en diuers lieux ou par emprunt, ou par imitation. Si se faut il prendre vn peu garde, de n’appeller pas force, ce qui n’est que gentilesse et ce, qui n’est qu’aigu, solide : ou bon, ce qui n’est que beau : quæ magis gustata quàm potata delectant. Tout ce qui plaist, ne paist pas, vbi non ingenij sed animi negotium agitur.À veoir les efforts que Seneque se donne pour se preparer contre la mort, à le voir suer d’ahan, pour se roider et pour s’asseurer, et se debattre si long temps en cette perche, i’eusse esbranlé sa reputation, s’il ne l’eust en mourant, tresuaillamment maintenue. Son agitation si ardante, si frequente, montre qu’il estoit chaud et impetueux luy mesme. Magnus animus remissius loquitur, et securius. Non est alius ingenio, alius animo color. Il le faut conuaincre à ses despens. Et montre aucunement qu’il estoit pressé de son aduersaire. La façon de Plutarque, d’autant qu’elle est plus desdaigneuse, et plus destendue, elle est selon moy, d’autant plus virile et persuasiuc. Ie croirois aysément, que son ame auoit les mouvemens plus asseurez, et plus reglez. L’vn plus aigu, nous pique et nous eslance en sursaut : touche plus l’esprit. L’autre plus solide, nous informe, establit et conforte constamment : touche plus l’entendement. Celuy là rauit nostre iugement : cestuyci le gaigne. l’ay veu pareillement d’autres escrits, encore plus reuerez, qui en la peinture du combat qu’ils soustiennent contre les aiguillons de la chair, les representent si cuisants, si puissants et inuincibles, que nous mesmes, qui sommes de la voirie du peuple, anons autant à admirer l’estrangeté et vigueur incognué de leur