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tus petit fils d’Aristote, tout ce que Chrysippus en auoit escrit. Apres ceux-cy, suruindrent les Empiriques, qui prindrent vne voyc toute diuerse des anciens, au maniement de cet art. Quand le credit de ces derniers commença à s’enuieillir, Herophilus mit en vsage vne autre sorte de medecine, qu’Asclepiades vint à combattre et ancantir à son tour. A leur reng gaignerent authorité les opinions de Themison, et depuis de Musa, et encore apres celles de Vexius Valens, medecin fameux par l’intelligence qu’il auoit auec Messalina. L’empire de la medecine tomba du temps de Neron à Thessalus, qui abolit et condamna tout ce qui en auoit esté tenu iusques à luy. La doctrine de cettuy-cy fut abbattue par Crinas de Marseille, qui apporta de nouueau, de regler toutes les operations medecinales, aux ephemerides et mouuemens des astres, manger, dormir, et boire à l’heure qu’il plairoit à la lune et à Mercure. Son authorité fut bien tost apres supplantée par Charinus, medecin de cette mesme ville de Marseille. Cettuy-cy combattoit non seulement la medecine ancienne, mais encore l’vsage des bains chauds, public, et tant de siecles auparauant accoustumé. Il faisoit baigner les hommes dans l’eau froide, en hyuer mesme, et plongeoit les malades dans l’eau naturelle des ruisseaux. Iusques au temps de Pline aucun Romain n’auoit encore daigné exercer la medecine : elle se faisoit par des estrangers, et Grecs : comme elle se fait entre nous François, par des Latineurs. Car comme dit vn tres-grand medecin, nous ne receuons pas aisément la medecine que nous entendons ; non plus que la drogue que nous cueillons. Si les nations, desquelles nous retirons le gayac, la salseperille, et le bois d’esquine, ont des medecins, combien pensons nous par cette mesme recommendation de l’estrangeté, la rareté, et la cherté, qu’ils facent feste de noz choulx, et de nostre persil ? car qui oseroit mespriser les choses recherchées de si loing, au hazard d’vne si longue peregrination et si perilleuse ? Depuis ces anciennes mutations de la medecine, il y en a eu infinies autres iusques à nous ; et le plus souuent mutations entieres et vniuerselles ; comine sont celles que produisent de nostre temps, Paracelse, Fiorauanti et Argenterius car ils ne changent pas seulement vne recepte, mais, à ce qu’on me dit, toute la contexture et police du corps de la medecine, accusans d’ignorance et de pipperie, ceux qui en ont faict profession iusques à eux. Ie vous laisse à penser où en est le pauure patient.Si encor nous estions asseurez, quand ils se mescontent, qu’il ne nous nuisist pas, s’il ne nous profite ; ce seroit vne bien raisonnable composition, de se hazarder d’acquerir du