Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/558

Cette page n’a pas encore été corrigée

poinct de son besoing. De volupté, de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu’il n’en peut estreindre. Son auidité est incapable de moderation. Ie trouue qu’en curiosité de sçauoir, il en est de mesme il se taille de la besoigne bien plus qu’il n’en peut faire, et bien plus qu’il n’en a affaire. Estendant l’vtilité du sçauoir, autant qu’est sa matiere. Vt omnium rerum, sic litterarum quoque, intemperantia laboramus. Et Tacitus a raison, de louer la mere d’Agricola, d’auoir bridé en son fils, vn appetit trop bouillant de science.C’est vn bien, à le regarder d’yeux fermes, qui a, comme les autres biens des hommes, beaucoup de vanité, et foiblesse propre et naturelle et d’vn cher coust. L’acquisition en est bien plus hazardeuse, que de toute autre viande ou boisson. Car ailleurs, ce que nous auons achetté, nous l’emportons au logis, en quelque vaisseau, et là nous auons loy d’en examiner la valeur combien, et à quelle heure, nous en prendrons. Mais les sciences, nous ne les pouuons d’arriuee mettre en autre vaisseau, qu’en nostre ame : nous les auallons en les achettans, et sortons du marché ou infects desia, ou amendez. Il y en a, qui ne font que nous empescher et charger, au lieu de nourrir et telles encore, qui sous tiltre de nous guarir, nous empoisonnent. I’ay pris plaisir de voir en quel— que lieu, des hommes par deuotion, faire veu d’ignorance, comme de chasteté, de pauureté, de poenitence. C’est aussi chastrer nos appetits desordonnez, d’esmousser cette cupidité qui nous espoinçonne à l’estude des liures : et priner l’ame de cette complaisance voluptueuse, qui nous chatouille par l’opinion de science. Et est richement accomplir le vœu de pauureté, d’y ioindre encore celle de l’esprit. Il ne nous faut guere de doctrine, pour viure à nostre aise Et Socrates nous apprend qu’elle est en nous, et la maniere de l’y trouuer, et de s’en ayder. Toute cette nostre suffisance, qui est au delà de la naturelle, est à peu pres vaine et superflue. C’est beaucoup si elle ne nous charge et trouble plus qu’elle ne nous sert. Paucis opus est litteris ad mentem bonam. Ce sont des excez fieureux de nostre esprit instrument brouillon et inquiete. Recueillez vous, vous trouuerez en vous, les argumens de la Nature, contre la mort, vrais, et les plus propres à vous seruir à la necessité. Ce sont ceux qui font mourir va paysan et des peuples entiers, aussi constamment qu’vn philosophe. Fusse ie mort moins allegrement auant qu’auoir veu les Tusculanes ? I’estime que non. Et quand ie me