Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/556

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dire : il ne monta rien, mais rauala plustost et ramena à son poinct, originel et naturel, et luy soubmit la vigueur, les aspretez et les difficultez. Car en Caton, on void bien à clair, que c’est vne allcure tendue bien loing au dessus des communes. Aux braues exploits de sa vie, et en sa mort, on le sent tousiours monté sur ses grands cheuaux. Cettuy-cy ralle à terre et d’vn pas mol et ordinaire, traicte les plus vtiles discours, et se conduict et à la mort et aux plus espineuses trauerses, qui se puissent presenter au train de la vie humaine.Il est bien aduenu, que le plus digne homme d’estre cogneu, et d’estre presenté au monde pour exemple, ce soit celuy duquel nous ayons plus certaine cognoissance. Il a esté esclairé par les plus clair-voyans hommes, qui furent onques. Les tesmoins que nous auons de luy, sont admirables en fidelité et en suffisance. C’est grand cas, d’auoir peu donner tel ordre, aux pures imaginations d’vn enfant, que sans les alterer ou estirer, il en ait produict les plus beaux effects de nostre ame. Il ne la represente ny esleuće ni riche il ne la represente que saine : mais certes d’vne bien allegre et nette santé. Par ces vulguaires ressorts et naturels par ces fantasies ordinaires et communes sans s’esmouuoir et sans se piquer, il dressa non seulement les plus réglées, mais les plus hautes et vigoureuses creances, actions et mœurs, qui furent onques. C’est luy, qui ramena du ciel, où elle perdoit son temps, la sagesse humaine, pour la rendre à l’homme : où est sa plus iuste et plus laborieuse besoigne. Voyez-le plaider deuant ses iuges voyez par quelles raisons, il esueille son courage aux hazards de la guerre, quels argumens fortifient sa patience, contre la calomnie, la tyrannie, la mort, et contre la teste de sa femme : il n’y a rien d’emprunté de l’art, et des sciences. Les plus simples y recognoissent leurs moyens et leur force : il n’est possible d’aller plus arriere et plus bas. Il a faict grand faueur à l’humaine nature, de montrer combien elle peut d’elle mesme.Nous sommes chacun plus riche, que nous ne pensons : mais on nous dresse à l’emprunt, et à la queste : on nous duiet à nous seruir plus de l’autruy, que du nostre. En aucune chose l’homme ne scait s’arrester au