Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/540

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aux habiles, soubs l’authorité du nombre et ancienneté des tesmoignages. Pour moy, de ce que ie n’en croirois pas vn, ie n’en croirois pas cent vns. Et ne iuge pas les opinions, par les ans.Il y a peu de temps, que l’vn de nos Princes, en qui la goute auoit perdu vn beau naturel, et vne allegre composition se laissa si fort persuader, au rapport qu’on faisoit des merueilleuses operations d’vn prestre, qui par la voye des parolles et des gestes, guerissoit toutes maladies qu’il fit vn long voyage pour l’aller trouuer et par la force de son apprehension, persuada, et endormit ses iambes pour quelques heures, si qu’il en tira du seruice, qu’elles auoyent desapris luy faire, il y auoit long temps. Si la Fortune eust laissé emmonceler cinq ou six telles aduantures, elles estoient capables de mettre ce miracle en nature. On trouua depuis, tant de simplesse, et si peu d’art, en l’architecte de tels ouurages, qu’on le iugea indigne d’aucun chastiement. Comme si feroit on, de la plus part de telles choses, qui les recognoistroit en leur giste. Miramur ex interuallo fallentia. Nostre veuë represente ainsi souuent de loing, des images estranges, qui s’esuanouyssent en s’approchant. Nunquam ad liquidum fama perducitur.C’est merueille, de combien vains commencemens, et friuoles causes, naissent ordinairement si fameuses impressions. Cela mesmes en empesche l’information. Car pendant qu’on cherche des causes, et des fins fortes, et poisantes, et dignes d’vn si grand nom, on pert les vrayes. Elles eschapent de nostre veuë par leur petitesse. Et à la verité, il est requis vn bien prudent, attentif, et subtil inquisiteur, en telles recherches indifferent, et non preoccupé. lusques à cette heure, tous ces miracles, et euenemens estranges, se cachent deuant moy. le n’ay veu monstre et miracle au monde, plus expres, que moymesine. On s’appriuoise à toute estrangeté par l’vsage et le temps : mais plus ie me hante et me cognois, plus ma difformité m’estonne moins ie m’entens en moy.Le principal droict d’auancer et produire tels accidens, est reserué à la Fortune. Passant auant hier dans vn village, à deux lieues de ma maison, ie trouuay la place encore toute chaude, d’vn miracle qui venoit d’y faillir : par lequel le voisinage auoit esté amusé plusieurs mois, et commencoient les prouinces voisines, de s’en esmouuoir, et y accourir à