Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/532

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que pour estre bon. Estalé, il est à demy vendu. Ces actions là, ont bien plus de grace, qui eschappent de la main de l’ouurier, nonchalamment et sans bruict : et que quelque honneste homme, choisit apres, et releue de l’ombre, pour les pousser en lumiere : à cause d’elles mesmes. Mihi quidem laudabiliora videntur omnia, quæ sine venditatione, et sine populo teste fiunt : dit le plus glorieux homme du monde.Ie n’auois qu’à conseruer et durer, qui sont effects sourds et insensibles. L’innouation est de grand lustre. Mais elle est interdicte en ce temps, où nous sommes pressez, et n’auons à nous deffendre que des nouuelletez. L’abstinence de faire, est soument aussi genereuse, que le faire mais elle est moins au iour. Et ce peu, que ie vaux, est quasi tout de cette espece. En somme les occasions en cette charge ont suiuy ma complexion : dequoy ie leur sçay tresbon gré. Est-il quelqu’vn qui desire estre malade, pour voir son medecin en besongne ? Et faudroit-il pas fouêter le medecin, qui nous desireroit la peste, pour mettre son art en practique ? le n’ay point eu cett’humeur inique et assez commune, de desirer que le trouble et maladie des affaires de cette cité, rehaussast et honnorast mon gouuernement. l’ay presté de bon cœur, l’espaule à leur aysance et facilité. Qui ne me voudra sçauoir gré de l’ordre, de la douce et muette tranquillité, qui a accompaigné ma conduitte : aumoins ne peut-il me priuer de la part qui m’en appartient, par le tiltre de ma bonne fortune. Et ie suis ainsi faict que l’ayme autant estre heureux que sage et deuoir mes succez, purement à la grace de Dieu, qu’à l’entremise de mon operation. I’auois assez disertement publié au monde mon insuffisance, en tels maniemens publiques. l’ay encore pis, que l’insuffisance : c’est qu’elle ne me desplaist guere et que ie ne cherche guere à la guarir, veu le train de vie que i’ay desseigné. Ie ne me suis en cette entremise, non plus satisfaict à moy-mesme. Mais à peu pres, i’en suis arrivé à ce que ie m’en estois promis : et si ay de beaucoup surmonté, ce que i’en auois promis à ceux, à qui i’auois à faire. Car ie promets volontiers vn peu moins de ce que ie puis, et de ce que l’espere tenir. Ie m’asseure, n’y auoir laissé ny offence ny haine. D’y laisser regret et desir de moy : ie sçay à tout le moins bien cela, que ie ne l’ay pas fort affecté :

Mene huic confidere monstro !
Méne salis placidi vultum, fluctusque quietos
Ignorare !