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vne longue tige et droicte, de la premiere venue ; mais apres, comme s’il s’estoit allanguy et mis hors d’haleine, il vient à faire des nœuds frequens et espais, comme des pauses ; qui montrent qu’il n’a plus cette premiere vigueur et constance. Il faut plustost commencer bellement et froidement ; et garder son haleine et ses vigoureux eslans, au fort et perfection de la besongne. Nous guidons les affaires en leurs commencemens, et les tenons à nostre mercy : mais par apres, quand ils sont esbranlez, ce sont eux qui nous guident et emportent, et auons à les suyure.Pourtant n’est-ce pas à dire, que ce conseil m’aye deschargé de toute difficulté ; et que ie n’aye eu affaire souuent à gourmer et brider mes passions. Elles ne se gouuernent pas tousiours selon la mesure des occasions : et ont leurs entrées mesmes, souuent aspres et violentes. Tant y a, qu’il s’en tire vne belle espargne, et du fruict. Sauf pour ceux, qui au bien faire, ne se contentent de nul fruict, si la reputation en est à dire. Car à la verité, vn tel effect, n’est en comte qu’à chacun en soy. Vous en estes plus content ; mais non plus estimé : vous estant reformé, auant que d’estre en danse, et que la matiere fust en veue. Toutesfois aussi, non en cecy seulement, mais en tous autres deuoirs de la vie, la route de ceux qui visent à l’honneur, est bien diuerse à celle que tiennent ceux qui se proposent l’ordre et la raison. I’en trouue, qui se mettent inconsiderément et furieusement en lice, et s’alentissent en la course. Comme Plutarque dit, que ceux qui par le vice de la mauuaise honte, sont mols et faciles, à accorder quoy qu’on leur demande, sont faciles apres à faillir de parole, et à se desdire. Pareillement qui entre legerement en querelle, est subiect d’en sortir aussi legerement. Cette mesme difficulté, qui me garde de l’entamer, m’inciteroit d’y tenir ferme, quand ie serois esbranlé et eschauffé. C’est une mauuaise façon. Depuis qu’on y est, il faut aller ou creuer. Entreprenez froidement, disoit Bias, mais poursuinez ardamment. De faute de prudence, on retombe en faute de cœur ; qui est encore moins supportable.La plus part des accords de noz querelles du iourd’hui, sont honteux et menleurs. Nous ne cherchons qu’à sauuer les apparences et trahissons cependant, et desaduouons noz vrayes intentions. Nous plastrons le faict. Nous sçauons comment nous l’auons dict, et en quel sens, et les assistans le sçauent, et noz amis à qui nous auons voulu faire