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est done, se preparer auant les occasions.Ie scay bien, qu’aucuns sages ont pris autre voye ; et n’ont pas crainet de se harper et engager iusques au vif, à plusieurs obiects. Ces gens là s’asseurent de leur force, soubs laquelle ils se mettent à couvert en toute sorte de succez ennemis, faisant lucter les maux, par la vigueur de la patience :

Velut rupes vastum quæ prodit in æquor,
Obuia ventorum furiis, expostáque ponto
Vim cunctam atque minas perfert cælique marisque,
Ipsa immota manens.

N’attaquons pas ces exemples ; nous n’y arriuerions point. Ils s’obstinent à voir resoluement, et sans se troubler, la ruyne de leur pays, qui possedoit et commandoit toute leur volonté. Pour noz ames communes, il y a trop d’effort, et trop de rudesse à cela. Caton en abandonna la plus noble vie, qui fut onques. À nous autres petis, il faut fuyr l’orage de plus loing : il faut pouruoir au sentiment, non à la patience ; et escheuer aux coups que nous ne sçaurions parer. Zenon voyant approcher Chremonidez ieune homme qu’il aymoit, pour se scoir au pres de luy : se leua soudain. Et Cleanthes, luy en demandant la raison : I’entendz, dit-il, que les medecins ordonnent le repos principalement, et deffendent l’emotion à toutes tumeurs. Socrates ne dit point : Ne vous rendez pas aux attraicts de la beauté ; soustenez la, efforcez vous au contraire. Fuyez la, faict-il, courez hors de sa veuë et de son rencontre, comme d’vne poison puissante qui s’eslance et frappe de loing. Et son bon disciple feignant ou recitant ; mais, à mon aduis, recitant plustost que feignant, les rares perfections de ce grand Cyrus, le fait deffiant de ses forces à porter les attraicts de la diuine beauté de cette illustre Panthée sa captiue, et en commettant la visite et garde à vn autre, qui eust moins de liberté que luy. Et le Sainct Esprit de mesme, ne nos inducas in tentationem. Nous ne prions pas que nostre raison ne soit combatue et surmontée par la concupiscence, mais qu’elle n’en soit pas seulement essayée que nous ne soyons conduits en estat où nous avons seulement à souffrir les approches, solicitations, et tentations du peché : et supplions nostre Seigneur de maintenir nostre conscience tranquille, plainement et parfaictement deliurée du commerce du mal.Ceux qui disent auoir rai-