Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/510

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chables en ceux que l’ay suiuy. Ils adorent tout ce qui est de leur costé : moy ie n’excuse pas seulement la plus part des choses, qui sont du mien. Vn bon ouurage, ne perd pas ses graces, pour plaider contre moy. Hors le mud du debat, ie me suis maintenu en equanimité, et pure indifference. Neque extra necessitates belli, præcipuum odium gero. Dequoy ie me gratifie, d’autant que ie voy communément faillir au contraire. Ceux qui allongent leur cholere, et leur haine au delà des affaires, comme faict la plus part, montrent qu’elle leur part d’ailleurs, et de cause particuliere. Tout ainsi comme, à qui estant guary de son vlcere, la fiebure demeure encore, montre qu’elle auoit vn autre principe plus caché. C’est qu’ils n’en ont point à la cause, en commun : et entant qu’elle blesse l’interest de touts, et de l’estat. Mais luy en veulent, seulement en ce, qu’elle leur masche en priué. Voyla pourquoy, ils s’en picquent de passion particuliere, et au delà de la iustice, et de la raison publique. Non tam omnia vniuersi, quam ea, quæ ad quemque pertinerent, singuli carpebant. Ie veux que l’aduantage soit pour nous : mais ie ne forcene point, s’il ne l’est. Ie me prens fermement au plus sain des partis. Mais ie n’affecte pas qu’on me remarque specialement, ennemy des autres, et outre la raison generalle. I’accuse merueilleusement cette viticuse forme d’opiner : Il est de la Ligue : car il admire la grace de Monsieur de Guyse. L’actiueté du Roy de Nauarre l’estonne : il est Huguenot. Il troune cecy à dire aux mœurs du Roy : il est seditieux en son cœur. Et ne conceday pas au magistrat mesme, qu’il eust raison, de condamner vn liure, pour auoir logé entre les meilleurs poëtes de ce siecle, vn heretique. Noserions nous dire d’vn voleur, qu’il a belle greue ? Faut-il, si elle est putain, qu’elle soit aussi punaise ? Aux siecles plus sages, reuoqua-on le superbe titre de Capitolinus, qu’on auoit auparauant donné à Marcus Manlius, comme conseruateur de la religion et liberté publique ? Estouffa-on la memoire de sa liberalité, et de ses faicts d’armes, et recompenses militaires ottroyées à sa vertu, par ce qu’il affecta depuis la Royauté, au preiudice des loix de son pays ? S’ils ont prins en haine vn aduocat, l’endemain il leur deuient ineloquent. l’ay touché ailleurs le zele, qui poulsa des gens de bien à semblables fautes. Pour moy, ie scay bien dire : Il faict meschamment cela, et vertueusement cecy. De mesmes, aux prognostiques ou enenements sinistres des affaires, ils veulent, que chacun en son party