Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/474

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lies ou impollues, comme ie les ay nées chez moy, ou rapportees de mon institution et desquelles ie me sers, sinon si commodeement au moins seurement en particulier : une vertu scholastique et nouice : ie les y ay trounces ineptes et dangereuses. Celuy qui va en la presse, il faut qu’il gauchisse, qu’il serre ses couddes, qu’il recule, ou qu’il auance, voire qu’il quitte le droict chemin, selon ce qu’il rencontre. Qu’il viue non tant selon soy, que selon autruy : non selon ce qu’il se propose, mais selon ce qu’on luy propose : seJon le temps, selon les hommes, selon les affaires. Platon dit, que qui eschappe, brayes nettes, du maniement du monde, c’est par miracle, qu’il en eschappe. Et dit aussi, que quand il ordonne son philosophe chef d’vne police, il n’entend pas le dire d’vne police corrompue, comme celle d’Athenes : et encore bien moins, comme la nostre, enuers lesquelles la sagesse mesine perdroit son Latin. Et vne bonne herbe, transplantee, en solage fort diuers à sa condition, se conforme bien plustost à iceluy, qu’elle ne le reforme à soy. Je sens que si i’auois à me dresser tout à fait à telles occupations, il m’y faudroit beaucoup de changement et de rabillage. Quand ie pourrois cela sur moy, et pourquoy ne le pourrois ie, auec le temps et le soing ? ie ne le voudrois pas. De ce peu que ie me suis essayé en cette vacation ; ie m’en suis d’autant degousté. Ie ine sens fumer en l’ame par fois, aucunes tentations vers l’ambition mais ie me bande et obstine au contraire :

At tu, Catulle, obstinatus obdura.

On ne m’y appelle gueres, et ie m’y conuie aussi peu. La liberté et l’oysiueté, qui sont mes maistresses qualitez, sont qualitez, diametralement contraires à ce inestier là. Nous ne sçauons pas distinguer les facultez des hommes. Elles ont des diuisions, et bornes, mal-aysees à choisir et delicates. De conclurre par la suffisance d’vne vie particuliere, quelque suffisance à l’vsage public, c’est mal conclud. Tel se conduict bien, qui ne conduiet pas bien les autres : et faict des Essais, qui ne sçauroit faire des effects. Tel dresse bien vn siege, qui dresseroit mal vne bataille : et discourt bien en priué, qui harangueroit mal ou vn peuple ou vn Prince. Voire à l’auanture, est-ce plustost tesmoignage à celuy qui peut I’vn, de ne pouuoir point l’autre, qu’autrement. Ie troue que les esprits hauts, ne sont de guere moins aptes aux choses basses, que les bas esprits aux hautes. Estoit-il à croire, que Socrates eust appresté aux Atheniens matiere de rire à ses despens, pour n’auoir onques sçeu computer les suffrages de sa tribu, et en faire rapport au conseil ? Certes la veneration, en quoy i’ay les perfections de ce personnage, merite, que sa fortune fournisse à l’excuse de mes principales imperfections, vn si magnifique exemple. Nostre suffisance est detaillee à menues pieces. La mienne n’a point de latitude, et si est chetifue