Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/470

Cette page n’a pas encore été corrigée

si elle ne nettoye et ne decrasse. On peut s’arrester à l’escorce : mais c’est apres qu’on en a retiré la mouelle. Comme apres auoir aualé le bon vin d’vne belle coupe, nous en considerons les graneures et l’ouurage. En toutes les chambrées de la philosophie ancienne, cecy se trouuera, qu’vn mesme ouurier, y publie des regles de temperance, et publie ensemble des escrits d’amour et desbauche. Et Xenophon, au giron de Clinias, escriuit contre la vertu Aristippique. Ce n’est pas qu’il y ait vne conuersion miraculeuse, qui les agite à ondées. Mais c’est que Solon se represente tantost soy-mesme, tantost en forme de legislateur : tantost il parle pour la presse, tantost pour soy. Et prend pour soy les regles libres et naturelles, s’asseurant d’vne santé ferme et entiere.

Curentur dubij medicis maioribus ægri.

Antisthenes permet au sage d’aimer, et faire à sa mode ce, qu’il trouue estre opportun, sans s’attendre aux loix : d’autant qu’il a meilleur aduis qu’elles, et plus de cognoissance de la vertu. Son disciple Diogenes, disoit, opposer aux perturbations, la raison : à fortune, la confidence : aux loix, nature. Pour les estomachs tendres, il faut des ordonnances contraintes et artificielles. Les bons estomachs se seruent simplement, des prescriptions de leur naturel appetit. Ainsi font nos medecins, qui mangent le melon et boiuent le vin fraiz, ce pendant qu’ils tiennent leur patient obligé au sirop et à la panade. Je ne sçay quels liures, disoit la courtisanne Lays, quelle sapience, quelle philosophie, mais ces gens-là, battent aussi souuent à ma porte, qu’aucuns autres. D’autant que nostre licence nous porte tousiours au delà de ce qui nous est loisible, et permis, on a estressy souuent outre la raison vniuerselle, les preceptes et loix de nostre vie.

Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permillas.

Il seroit à desirer, qu’il y eust plus de proportion du commandement à l’obeïssance. Et semble la visée iniuste, à laquelle on ne peut atteindre. Il n’est si homme de bien, qu’il mette à l’examen des loix toutes ses actions et pensées, qui ne soit pendable dix fois en sa vie. Voire tel, qu’il seroit tres-grand dommage, et tres-iniuste de punir et de perdre.

Ole, quid ad te,
De cute quid facial ille, vel illa sua ?

Et tel pourroit n’offencer point les loix, qui n’en meriteroit point la louange d’homme de vertu : et que la philosophie feroit tresinstement foiter. Tant cette relation est trouble et inegale. Nous n’auons garde d’estre gens de bien selon Dieu nous ne le sçau-