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ures, et des maladies qui m’atterrent ; entier encores, et voisin de la santé, ie me reconcilie à Dieu, par les derniers offices Chrestiens. Et m’en trouue plus libre, et deschargé ; me semblant en auoir d’autant meilleure raison de la maladie. De notaire et de conseil, il m’en faut moins que de medecins. Ce que ie n’auray estably de mes affaires tout sain, qu’on ne s’attende point que ie le face malade. Ce que ie veux faire pour le seruice de la mort, est tousiours faict. Ie n’oserois le dislayer d’vn seul iour. Et s’il n’y a rien de faict, c’est à dire, ou que le doubte m’en aura retardé le choix : car par fois, c’est bien choisir de ne choisir pas : ou que tout à faict, ie n’auray rien voulu faire.I’escris mon liure à peu d’hommes, et à peu d’années. Si c’eust esté vne matiere de durée, il l’eust fallu commettre à vn langage plus ferme. Selon la variation continuelle, qui a suiuy le nostre iusques à cette heure, qui peut esperer que sa forme presente soit en vsage, d’icy à cinquante ans ? Il escoule touts les iours de nos mains et depuis que ie vis, s’est alteré de moitié. Nous disons, qu’il est à cette heure parfaict. Autant en dict du sien, chasque siecle. Ie n’ay garde de l’en tenir là tant qu’il fuira, et s’ira difformant comme il faict. C’est aux bons et vtiles escrits, de le clouer à eux, et ira son credit, selon la fortune de nostre estat. Pourtant ne crains-ie point d’y inserer plusieurs articles priuez, qui consument leur vsage entre les hommes qui viuent auiourd’huy : et qui touchent la particuliere science d’aucuns, qui y verront plus auant, que de la commune intelligence. Ie ne veux pas, apres tout, comme ie vois souuent agiter la memoire des trespassez, qu’on aille debattant : Il iugeoit, il viuoit ainsin : il vouloit cecy : s’il eust parlé sur sa fin il eust dict, il cust donné ; ie le cognoissois mieux que tout autre. Or autant que la bien-seance me le permet, ie fais icy sentir mes inclinations et affections. Mais plus librement, et plus volontiers, le fais-ie de bouche, à quiconque desire en estre informé. Tant y a, qu’en ces memoires, si on y regarde, on trouuera que i’ay tout dit, ou tout designé. Ce que ie ne puis exprimer, ie le montre au doigt.

Verum animo satis hæc vestigia parua sagaci
Sunt, per que possis cognoscere cætera tute.

le ne laisse rien à desirer, et deuiner de moy. Si on doit s’en entretenir, ie veux que ce soit veritablement et iustement. Ie reuiundrois volontiers de l’autre monde, pour démentir celuy, qui me