Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/448

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tes, feintes et masquées. Qui a tousiours eu le goust tendre, affoibly, il l’a encore plus. Il luy faut en vne si grande necessité, vne main douce, et accommodée à son sentiment pour le grater iustement où il luy cuit. Ou qu’on ne le grate point du tout. Si nous auons besoing de sage femme, à nous mettre au monde : nous auons bien besoing d’vn homme encore plus sage, à nous en sortir. Tel, et amy, le faudroit-il acheter bien cherement, pour le seruice d’vne telle occasion. Ie ne suis point arriué à cette vigueur desdaigneuse, qui se fortifie en soy-mesme, que rien n’aide, ny ne trouble ; ie suis d’vn poinct plus bas. Ie cherche à coniller, et à me des— rober de ce passage : non par crainte, mais par art. Ce n’est pas mon aduis, de faire en cette action, preuue ou montre de ma constance. Pour qui ? Lors cessera tout le droict et l’interest, que i’ay à la reputation. Ie me contente d’vne mort recucillic en soy, quiete, et solitaire, toute mienne, conuenable à ma vie retirée et priuće. Au rebours de la superstition Romaine, où on estimoit malheureux, celuy qui mouroit sans parler : et qui n’auoit ses plus proches à luy clorre les yeux. I’ay assez affaire à me consoler, sans auoir à consoler autruy ; assez de pensées en la teste, sans que les circonstances m’en apportent de nouuelles : et assez de matiere à m’entretenir, sans l’emprunter. Cette partie n’est pas du rolle de la societé : c’est l’acte à vn seul personnage. Viuons et rions entre les nostres, allons mourir et rechigner entre les inconnuz. On trouue en payant, qui vous tourne la teste, et qui vous frotte les pieds : qui ne vous presse qu’autant que vous voulez, vous presentant vn visage indifferent, vous laissant vous gouuerner, et plaindre à vostre mode.Ie me deffais tous les iours par discours, de cette humeur puerile et inhumaine, qui faict que nous desirons d’esmouuoir par nos maux, la compassion et le dueil en nos amis. Nous faisons valoir nos inconueniens outre leur mesure, pour attirer leurs larmes. Et la fermeté que nous louons en chacun, à soustenir sa mauuaise fortune, nous l’accusons et reprochons à nos proches, quand c’est en la nostre. Nous ne nous contentons pas qu’ils se ressentent de nos maux, si encores ils ne s’en affligent. Il faut estendre la ioye, mais retrancher autant qu’on peut la tristesse. Qui se faict plaindre sans raison, est homme pour n’estre pas plaint, quand la raison y sera. C’est pour n’estre iamais plaint, que se plaindre tousiours, faisant si souuent le piteux, qu’on ne soit pi-