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milieu. Rerum natura nullam nobis dedit cognitionem finium. Sont-elles pas encore femmes et amies des trespassez ; qui ne sont pas au bout de cettuy-cy, mais en l’autre monde ? Nous embrassons et ceux qui ont esté, et ceux qui ne sont point encore, non que les absens. Nous n’auons pas faict marché, en nous mariant, de nous tenir continuellement accouez, I’vn à l’autre, comme ie ne sçay quels petits animaux que nous voyons, ou comme les ensorcelez de Karenty, d’vne maniere chiennine. Et ne doibt vne femme auoir les yeux si gourmandement fichez sur le deuant de son mary, qu’elle n’en puisse veoir le derriere, où besoing est. Mais ce mot de ce peintre si excellent, de leurs humeurs, seroit-il point de mise en ce lieu, pour representer la cause de leurs plaintes ?

Vxor, si cesses, aut te amare cogitat,
Aut tele amari, aut polare, aut animo obsequi,
Et tibi bene esse soli, cùm sibi sit malè.

Ou bien seroit-ce pas, que de soy l’opposition et contradiction les entretient et nourrit et qu’elles s’accommodent assez, pourueu qu’elles vous incommodent ?En la vraye amitié, de laquelle ie suis expert, ie nre donne à mon amy, plus que ie ne le tire à moy. le n’ayme pas seulement mieux, luy faire bien, que s’il m’en faisoit mais encore qu’il s’en face, qu’à moy : il m’en faict lors le plus, quand il s’en faict. Et si l’absence luy est ou plaisante ou vtile, elle m’est bien plus douce que sa presence et ce n’est pas proprement absence, quand il y a moyen de s’entr’aduertir. l’ay tiré autrefois vsage de nostre esloingnement et commodité. Nous remplissions mieux, et estandions, la possession de la vie, en nous separant il viuoit, il iouyssoit, il voyoit pour moy, et moy pour luy, autant plainement que s’il y eust esté : l’vne partie demeuroit oisiue, quand nous estions ensemble : nous nous confondions. La separation du lieu rendoit la conionction de noz volontez plus riche. Cette faim insatiable de la presence corporelle, accuse vn peu Ja foiblesse en la iouissance des ames.Quant à la vieillesse, qu’on m’allegue ; au rebours : c’est à la ieunesse à s’asseruir aux opinions communes, et se contraindre pour autruy. Elle peut fournir à tous les deux, au peuple et à soy : nous n’auons que trop à faire, à nous seuls. À mesure que les commoditez naturelles nous faillent, soustenons nous par les artificielles. C’est iniustice, d’excuser la ieunesse de suyure ses plaisirs, et deffendre à la vieillesse d’en chercher. Jeune, ie couurois mes passions eniouees, de pru-