Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

puis conceuoir. Cette humeur fut bien tendre à vn homme, qui iugeoit le monde sa ville. Il est vray, qu’il dedaignoit les peregrinations, et n’auoit gueres mis le pied hors le territoire d’Attique. Quoy, qu’il plaignoit l’argent de ses amis à desengager sa vie : et qu’il refusa de sortir de prison par l’entremise d’autruy, pour ne desobeïr aux loix en vn temps, qu’elles estoient d’ailleurs si fort corrompuës ? Ces exemples sont de la premiere espece, pour moy. De la seconde, sont d’autres, que ie pourroy trouuer en ce mesme personnage. Plusieurs de ces rares exemples surpassent la force de mon action : mais aucuns surpassent encore la force de mon iuge— ment.Outre ces raisons, le voyager me semble vn exercice profitable. L’ame y a vne continuelle exercitation, à remarquer des choses incogneues et nouuelles. Et ie ne sçache point meilleure escole, comme i’ay diet souuent, à façonner la vie, que de luy proposer incessamment la diuersité de tant d’autres vies, fantasies, et vsances : et luy faire gouster vne si perpetuelle varieté de formes de nostre nature. Le corps n’y est ny oisif ny trauaillé : et celle moderee agitation le met en haleine. Je me tien à cheual sans demonter, tout choliqueux que ie suis, et sans m’y ennuyer, huiet et dix heures,

Vires vltra sortémque senectæ.

Nulle saison m’est ennemye, que le chaut aspre d’vn soleil poignant. Car les ombrelles, dequoy dépuis les anciens Romains l’Italie se sert, chargent plus les bras, qu’ils ne deschargent la teste. Ie voudroy sçauoir quelle industrie c’estoit aux Perses, si anciennement, et en la naissance de la luxure, de se faire du vent frais, et des ombrages à leur poste, comme dict Xenophon. I’ayme les pluyes et les crotes comme les cannes. La mutation d’air et de climat ne me touche point. Tout ciel m’est vn. Ie ne suis battu que des alterations internes, que ie produicts en moy, et celles là m’arriuent moins en voyageant. Je suis mal-aisé à esbranler : mais estant auoyé, ie vay tant qu’on veut. Festriue autant aux petites entreprises, qu’aux grandes et à m’equiper pour faire vne iournée, et visiter vn voisin, que pour vn iuste voyage. l’ay apris à faire mes journees à l’Espagnole, d’vne traicte : grandes et raisonnables