Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/436

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ne me mutine iamais tant contre la France, que ie ne regarde Paris de bon ceil. Elle a mon cœur des mon enfance. Et m’en est admenu comme des choses excellentes : plus i’ay veu dépuis d’autres villes belles, plus la beauté de cette cy, peut, et gaigne sur mon affection. Ie l’ayme par elle mesme, et plus en son estre seul, que rechargee de pompe estrangere. Ie l’ayme tendrement, iusques à ses verrues et à ses taches. Ie ne suis François, que par cette grande cité grande en peuples, grande en felicité de son assiette : mais sur tout grande, et incomparable en varieté, et diuersité de commoditez la gloire de la France, et l’vn des plus nobles ornements du monde. Dieu en chasse loing nos diuisions entiere et vnie, ie la trouue deffendue de toute autre violence. Ie l’aduise, que de tous les partis, le pire sera celuy qui la mettra en discorde. Et ne crains pour elle, qu’elle mesme. Et crains pour elle, autant certes, que pour autre piece de cet estat. Tant qu’elle durera, ie n’auray faute de retraicte, où rendre mes abboys : suffisante à me faire perdre le regret de tout autre retraicte.Non par ce que Socrates l’a dict, mais par ce qu’en verité c’est mon humeur, et à l’auanture non sans quelque excez, i’estime tous les hommes mes compatriotes : et embrasse vn Polonois comme vn François, postposant cette lyaison nationale, à l’vniuerselle et commune. Je ne suis guere feru de la douceur d’vn air naturel. Les cognoissances toutes neufues, et toutes miennes, me semblent bien valoir ces autres communes et fortuites cognoissances du voisinage. Les amitiez pures de nostre acquest, emportent ordinairement, celles ausquelles la communication du climat, ou du sang, nous ioignent. Nature nous a mis au monde libres et desliez, nous nous emprisonnons en certains destroits : comme les Roys de Perse qui s’obligeoient de ne boire iamais autre cau, que celle du fleuue de Choaspez, renonçoyent par sottise, à leur droict d’vsage en toutes les autres eaux et assechoient pour leur regard, tout le reste du monde. Ce que Socrates feit sur sa fin, d’estimer vne sentence d’exil pire, qu’vne sentence de mort contre soy : ie ne seray, à mon aduis, iamais ny si cassé, ny si estroittement habitué en mon païs, que ie le feisse. Ces vies celestes, ont assez d’images, que i’embrasse par estimation plus que par affection. Et en ont aussi, de si esleuees, et extraordinaires, que par estimation mesme ie ne les puis embrasser, d’autant que ie ne les