Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/434

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de la nonchalance et lascheté. Elles nous menent aussi aucunement à la resolution. Il m’aduient souuent, d’imaginer auec quelque plaisir, les dangers mortels, et les attendre. Ie me plonge la teste baissee, stupidement dans la mort, sans la considerer et recognoistre, comme dans vne profondeur muette et obscure, qui m’engloutit d’vn saut, et m’estouffe en vn instant, d’vn puissant sommeil, plein d’insipidité et indolence. Et en ces morts courtes et violentes, la consequence que i’en preuoy, me donne plus de consolation, que l’effait de crainte. Ils disent, comme la vie n’est pas la meilleure, pour estre longue, que la mort est la meilleure, pour n’estre pas longue. Ie ne m’estrange pas tant de l’estre mort, comme i’entre en confidence auec le mourir. Ie m’enueloppe et me tapis en cet orage, qui me doit aueugler et rauir de furie, d’vne charge prompte et insensible. Encore s’il aduenoit, comme disent aucuns iardiniers, que les roses et violettes naissent plus odoriferantes pres des aulx et des oignons, d’autant qu’ils sucçent et tirent à eux, ce qu’il y a de mauuaise odeur en la terre aussi que ces deprauées natures, humassent tout le venin de mon air et du climat, et m’en rendissent d’autant meilleur et plus pur, par leur voysinage : que ie ne perdisse pas tout. Cela n’est pas mais de cecy il en peut estre quelque chose, qne la bonté est plus belle et plus attraiante quand elle est rare, et que la contrarieté et diuersité, roidit et resserre en soy le bien faire et l’enflamme par la ialousie de l’opposition, et par la gloire. Les voleurs de leur grace, ne m’en veulent pas particulierement. Ne fay-ie pas moy à eux. Il m’en faudroit à trop de gents. Pareilles consciences logent sous diuerses sortes de robes. Pareille cruauté, desloyauté, volerie. Et d’autant pire, qu’elle est plus lasche, plus seure, et plus obscure, sous l’ombre des loix. Ie hay moins l’iniure professe que trahitresse ; guerriere que pacifique et juridique. Nostre fieure est suruenuë en vn corps, qu’elle n’a de guere empiré. Le feu y estoit, la flamme s’y est prinse. Le bruit est plus grand : le mal, de peu. Ie respons ordinairement, à ceux qui me demandent raison de mes voyages : Que ie sçay bien ce que ie fuis, mais non pas ce que ie cherche. Si on me dit, que parmy les estrangers il y peut auoir aussi peu de santé, et que leurs mœurs ne sont pas mieux nettes que les nostres : ie respons premierement, qu’il est malaysé :

Tam mulla scelerum facies !

Secondement, c’est tousiours gain, de changer vn mauuais estat à vn estat incertain. Et que les maux d’autruy ne nous doiuent pas poindre comme les nostres.Ie ne veux pas oublier cecy, que ie