Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/424

Cette page n’a pas encore été corrigée

facilité des mœurs de mes predecesseurs, et miennes : car quoy si l’estois autre ? Si mes desportemens et la franchise de ma conuersation, obligent mes voisins, ou la parenté : c’est cruauté qu’ils s’en puissent acquitter, en me laissant viure, et qu’ils puissent dire : Nous luy condonons la libre continuation du seruice diuin, en la chapelle de sa maison, toutes les eglises d’autour, estants par nous desertées et luy condonons I’vsage de ses biens, et sa vie, comme il conserue nos femmes, et nos bœufs au besoing. De longue main chez moy, nous auons part à la louange de Lycurgus Athenien, qui estoit general depositaire et gardien des bourses de ses concitoyens. Or ie tiens, qu’il faut viure par droict, et par auctorité, non par recompense ny par grace. Combien de galans hommes ont mieux aymé perdre la vie, que la deuoir ? le suis à me submettre à toute sorte d’obligation. Mais sur tout, à celle qui m’attache, par deuoir d’honneur. Ie ne trouue rien si cher, que ce qui m’est donné et ce pourquoy, ma volonté demeure hypothequee par tiltre de gratitude. Et reçois plus volontiers les offices, qui sont à vendre. Ie croy bien. Pour ceux-cy, ie ne donne que de l’argent pour les autres, ie me donne inoy-mesme.Le neud, qui me tient par la loy d’honnesteté, me semble bien plus pressant et plus poisant, que n’est celuy de la contraincte ciuile. On me garotte plus doucement par vn notaire, que par moy. N’est-ce pas raison, que ma conscience soit beaucoup plus engagee, à ce, en quoy on s’est simplement fié d’elle ? Ailleurs, ma foy ne doit rien car on ne luy a rien presté. Qu’on s’ayde de la fiance et asseurance, qu’on a prise hors de moy.. l’aymeroy bien plus cher, rompre la prison d’vne muraille, et des loix, que de ma parole. Je suis delicat à l’obseruation de mes promesses, iusques à la superstition : et les fay en tous subiects volontiers incertaines et conditionnelles. À celles, qui sont de nul poids, ie donne poids de la ialousie de ma regle : elle me gehenne et charge de son propre interest. Ouy, és entreprinses toutes miennes et libres, si i’en dy le poinct, il me semble, que ie me les prescry : et que, le donner à la science d’autruy, c’est le preordonner à soy.