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voir, par où on y peut venir, en quel estat est l’assaillant. Peu de vaisseaux fondent de leur propre poix, et sans violence estrangere. Or tournons les yeux par tout, tout croulle autour de nous. En tous les grands estats, soit de Chrestienté, soit d’ailleurs, que nous cognoissons, regardez y, vous y trouuerez vne cuidente menasse de changement et de ruyne :

Et sua sunt illis incommoda, parque per omnes
Tempestas.

Les astrologues ont beau ieu, à nous aduertir, comme ils font, de grandes alterations, et mutations prochaines : leurs deuinations sont presentes et palpables, il ne faut pas aller au ciel pour cela. Nous n’avons pas seulement à tirer consolation, de cette societé vniuerselle de mal et de menasse : mais encores quelque espérance, pour la duree de nostre estat : d’autant que naturellement, rien ne tombe, là où tout tombe. La maladie vniuerselle est la santé particuliere. La conformité, est qualité ennemie à la dissolution. Pour moy, ie n’en entre point au desespoir, et me semble y voir des routes à nous sauuer !

Deus hæc fortasse benigna
Reducet in sedem vice.

Qui scait, si Dieu voudra qu’il en aduienne, comme des corps qui se purgent, et remettent en meilleur estat, par longues et gricfues maladies lesquelles leur rendent vne santé plus entiere et plus nette, que celle qu’elles leur auoient osté ? Ce qui me poise le plus, c’est qu’à conter les symptomes de nostre mal, i’en vois autant de naturels, et de ceux que le ciel nous enuoye, et proprement siens, que de ceux que nostre desreglement, et l’imprudence humaine y conferent. Il semble que les astres mesmes ordonnent, que nous auons assez duré, et outre les termes ordinaires. Et cecy aussi me poise, que le plus voysin mal, qui nous menace, ce n’est pas alte— ration en la masse entiere et solide, mais sa dissipation et diuulsion l’extreme de noz craintes.Encores en ces reuasseries icy crains-ie la trahison, de ma memoire, que par inaduertance, elle m’aye faict enregistrer vne chose deux fois. Ie hay à me recognoistre et ne retaste iamais qu’enuis ce qui m’est vne fois eschappé. Or ie n’apporte icy rien de nouuel apprentissage. Ce sont imaginations communes : les ayant à l’auanture conceuës cent fois, l’ay peur de les auoir desia enrollees. La redicte est par tout ennuyeuse, fut ce dans Homere. Mais elle est ruyneuse, aux choses qui n’ont qu’vne montre superficielle et passagere. Ie me desplais de l’inculcation, voire aux choses vtiles, comme en Seneque. Et I’vsage de son escole Stoique me desplaist, de redire sur chasque matiere, tout au long et