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leur dit : Que le iour estoit venu, auquel en pleine liberté ils pouuoient prendre vengeance des tyrans qui les auoyent si long temps oppressez, lesquels il tenoit à sa mercy seuls et desarmez. Fut d’aduis, qu’au sort, on les tirast hors, I’vn apres l’autre : et de chacun on ordonnast particulierement : faisant sur le champ, executer ce qui en seroit decreté pourueu aussi que tout d’vn train ils aduisassent d’establir quelque homme de bien, en la place du condamné, affin qu’elle ne demeurast vuide d’officier. Ils n’eurent pas plustost ouy le nom d’vn senateur, qu’il s’esleua vn cry de mescontentement vniuersel à l’encontre de luy : le voy bien, dit Pacuuius, il faut demettre cettuy-cy : c’est vn meschant : ayons en vn bon en change. Ce fut vn prompt silence tout le monde se trouuant bien empesché au choix. Au premier plus effronté, qui dit le sien : voyla vn consentement de voix encore plus grand à refuser celuy là. Cent imperfections, et iustes causes, de le rebuter. Ces humeurs contradictoires, s’estans eschauffees, il aduint encore pis du second Senateur, et du tiers. Autant de discorde à l’election, que de conuenance à la demission. S’estans inutilement lassez à ce trouble, ils commencent, qui deçà, qui delà, à se desrober peu à peu de l’assemblee rapportant chacun cette resolution en son ame, que le plus vieil et mieux cogneu mal, est tousiours plus supportable, que le mal recent et inexperimenté.Pour nous voir bien piteusement agitez car que n’auons nous faict ?

Eheu ! cicatricum et sceleris pudel,
Fratrumque : quid nos dura refugimus
Ætas ? quid intactum nefasti
Liquimus ? vnde manus iuuentus
Metu Deorum continuit ? quibus
Pepercit aris ?

ie ne vay pas soudain me resoluant,

Ipsa si velit Salus,
Seruare prorsus non potest hanc familiam.

Nous ne sommes pas pourtant à l’auanture, à nostre dernier periode. La conseruation des estats, est chose qui vray-semblablement surpasse nostre intelligence. C’est, comme dit Platon, chose puissante, et de difficile dissolution, qu’vne ciuile police, elle dure souuent contre des maladies mortelles et intestines : contre l’iniure des loix iniustes, contre la tyrannie, contre le debordement et ignorance des magistrats, licence et sedition des peuples. En toutes nos fortunes, nous nous comparons à ce qui est au dessus de nous, et regardons vers ceux qui sont mieux. Mesurons nous à ce qui est au dessous il n’en est point de si miserable, qui ne trouue mille exemples où se consoler. C’est nostre vice, que nous voyons plus