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ne sçay s’il reste à la France dequoy substituer vne autre coupple, pareille à ces deux Gascons, en syncerité, et en suffisance, pour le conseil de nos Roys. C’estoyent ames diuersement belles, et certes selon le siecle, rares et belles, chacune en sa forme. Mais qui les auoit logees en cel aage, si desconuenables et si disproportionnees à nostre corruption, et à nos tempestes ? Rien ne presse vn estat que l’innouation le changement donne seul forme à l’iniustice, et à la tyrannie. Quand quelque piece se démanche, on peut l’eslayer : on peut s’opposer à ce que l’alteration et corruption naturelle à toutes choses, ne nous esloigne trop de nos commencemens et principes. Mais d’entreprendre à refondre vne si grande masse, et à changer les fondements d’vn si grand bastiment, c’est à faire à ceux qui pour descrasser effacent qui veulent amender les deffauts partienliers, par vne confusion vniuerselle, et guarir les maladies par la mort : non tam commutandarum quam euertendarum rerum cupidi. Le monde est inepte à se guarir. Il est si impatient de ce qui le presse, qu’il ne vise qu’à s’en deffaire, sans regarder à quel prix. Nous voyons par mille exemples, qu’il se guarit ordinairement à ses despens la descharge du mal present, n’est pas guarison, s’il n’y a en general amendement de condition. La fin du chirurgien, n’est pas de faire mourir la mauuaise chair : ce n’est que l’acheminement de sa cure : il regarde au delà, d’y faire renaistre la naturelle, et rendre la partie à son deu estre. Quiconque propose seulement d’emporter ce qui le masche, il demeure court : car le bien ne succede pas necessairement au mal : vn autre mal luy peut succeder ; et pire. Comme il aduint aux tueurs de Cesar, qui ietterent la chose publique à tel poinct, qu’ils eurent à se repentir de s’en estre meslez. À plusieurs depuis, iusques à nos siecles, il est aduenu de mesmes. Les François mes contemporanees sçauent bien qu’en dire. Toutes grandes mutations esbranlent l’estat, et le desordonnent.Qui viseroit droit à la guarison, et en consulteroit auant toute cuure, se refroidiroit volontiers d’y mettre la main. Pacuuius Calauius corrigea le vice de ce proceder, par vn exemple insigne. Ses concitoyens estoient mutinez contre leurs magistrats : luy personnage de grande authorité en la ville de Caponë, trouua vn iour moyen d’enfermer le Senat dans le Palais : et conuoquant le peuple en la place,