Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/376

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ie n’y fus pas vne heure : ie ne l’ay reueu depuis. Or dis-ie, laissons donc ces pieces, donnez m’en vne qui vous represente bien entier, par laquelle il vous plaise qu’on vous mesure. Et puis que trouvez vous le plus beau en vostre ouurage ? est-ce ou cette partie, ou cette cy ? la grace, ou la matiere, ou l’inuention, ou le ingement, ou la science ? Car ordinairement ie m’apperçoy, qu’on faut autant à iuger de sa propre besongne, que de celle d’autruy. Non seulement pour l’affection qu’on y mesle : mais pour n’auoir la suffisance de la cognoistre et distinguer. L’ouurage de sa propre force, et fortune, peult seconder l’ouurier et le deuancer outre son inuention, et cognoissance. Pour moy, ie ne iuge la valeur d’autre besongne, plus obscurement que de la mienne et loge les Essais tantost bas, tantost haut, fort inconstamment et doubteusement. II y a plusieurs liures vtiles à raison de leurs subiects, desquels l’autheur ne tire aucune recommandation et des bons liures, comme des bons ouurages, qui font honte à l’ouurier. l’escriray la façon de nos conuiues, et de nos vestemens : et l’escriray de mauuaise grace ie publieray les edicts de mon temps, et les lettres des Princes qui passent és mains publiques : ie feray vn abbregé sur vn bon liure (et tout abbregé sur vn bon liure est vn sot abbregé) le— quel liure viendra à se perdre et choses semblables. La posterité retirera vtilité singuliere de telles compositions : moy quel honneur, si ce n’est de ma bonne fortune ? Bonne part des liures fameux, sont de cette condition.Quand ie leuz Philippes de Comines, il y a plusieurs annees, tresbon autheur certes ; i’y remarquay ce mot pour non vulgaire : Qu’il se faut bien garder de faire tant de seruice à son maistre, qu’on l’empesche d’en trouuer la iuste recompence. Ie deuois louer l’inuention, non pas luy. Ie la rencontray en Tacitus, il n’y a pas long temps : Beneficia eo vsque læta sunt, dum videntur exolui posse ; vbi multum anteuenere, pro gratia odium redditur. Et Seneque vigoureusement : Nam qui putat esse turpe non reddere, non vult esse cui reddat. Q. Cicero d’vn biais plus lasche : Qui se non putat satisfacere modo amicus esse nullo, potest. Le subiect selon qu’il est, peut faire trouuer vn homme sçauant et memorieux : mais pour iuger en luy les parties plus siennes, et plus dignes, la force et