Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/368

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diuers à cette façon commune et me deffie plus de la suffisance, quand ie la vois accompagnée de grandeur de fortune, et de recommandation populaire. Il nous fault prendre garde, combien c’est, de parler à son heure, de choisir son poinct, de rompre le propos, ou le changer, d’vne authorité magistrale : de se deffendre des oppositions d’autruy, par vn mouuement de teste, vn sous-ris, ou vn silence, deuant vne assistance, qui tremble de reuerence et de. respect. Vn homme de monstrueuse fortune, venant mesler son aduis à certain leger propos, qui se demenoit tout laschement, en sa table, commença iustement ainsi : Ce ne peut estre qu’vn men— teur ou ignorant, qui dira autrement que, etc. Suyuez cette poincte philosophique, vn poignart à la main.Voicy vn autre aduertissement, duquel ie tire grand vsage. C’est qu’aux disputes et conferences, tous les mots qui nous semblent bons, ne doiuent pas incontinent estre acceptez. La plus part des hommes sont riches d’vne suffisance estrangere. Il peut bien aduenir à tel, de dire vn beau traict, vne bonne responce et sentence, et la mettre en auant, sans en cognoistre la force. Qu’on ne tient pas tout ce qu’on emprunte, à l’aduenture se pourra-il verifier par moy-mesme. Il n’y faut point tousiours ceder, quelque verité ou beauté qu’elle ayt. Ou il la faut combatre à escient, ou se tirer arriere, soubs couleur de ne l’entendre pas pour taster de toutes parts, comment elle est logee en son autheur. Il peut aduenir, que nous nous enferrons, et aydons au coup, outre sa portee. I’ay autrefois employé à la nécessité et presse du combat, des reuirades, qui ont faict faucee outre mon dessein, et mon esperance. Ie ne les donnois qu’en nombre, on les receuoit en poix. Tout ainsi, comme, quand ie debats contre vn homme vigoureux ; ie me plais d’anticiper ses conclusions : ie luy oste la peine de s’interpreter : i’essaye de preuenir son imagination imparfaicte encores et naissante : l’ordre et la pertinence de son entendement, m’aduertit et menace de loing : de ces autres ie fais tout le rebours, il ne faut rien entendre que par eux, ny rien presupposer.S’ils iugent en parolles vniuerselles : Cecy est bon,