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la beauté de leurs ouurages, en pierrerie, en plume, en cotton, en la peinture, montrent qu’ils ne nous cedoient non plus en l’industrie. Mais quant à la deuotion, obseruance des loix, bonté, liberalité, loyauté, franchise, il nous a bien seruy, de n’en auoir pas tant qu’eux. Ils se sont perdus par cet aduantage, et vendus, et trahis eux mesmes.Quant à la hardiesse et courage, quant à la fermeté, constance, resolution contre les douleurs et la faim, et la mort, ie ne craindrois pas d’opposer les exemples, que ie trouuerois parmy eux, aux plus fameux exemples anciens, que nous ayons aux memoires de nostre monde pardeçà. Car pour ceux qui les ont subiuguez, qu’ils ostent les ruses et batelages, dequoy ils se sont seruis à les piper : et le iuste estonnement, qu’apportoit à ces nations là, de voir arriuer si inopinement des gens barbus, diuers en langage, religion, en forme, et en contenance : d’vn endroit du monde si esloigné, et où ils n’auoient iamais sceu qu’il y eust habitation quelconque : montez sur des grands monstres incongneuz : contre ceux, qui n’auoient non seulement iamais veu de cheual, mais beste quelconque, duicte à porter et soustenir homme ny autre charge : garnis d’vne peau luysante et dure, et d’vne arme trenchante et resplendissante : contre ceux, qui pour le miracle de la lueur d’vn miroir ou d’vn cousteau, alloyent eschangeant vne grande richesse en or et en perles, et qui n’auoient ny science ny matiere, par où tout à loysir, ils sçeussent percer nostre acier : adioustez y les foudres et tonnerres de nos pieces et harquebuses, capables de troubler Cæsar mesme, qui l’en eust surpris autant inexperimenté : et à cett’heure, contre des peuples nuds, si ce n’est où l’inuention estoit arriuce de quelque tyssu de cotton : sans autres armes pour le plus, que d’arcs, pierres, bastons et boucliers de bois des peuples surpris soubs couleur d’amitié et de bonne foy, par la curiosité de veoir des choses estrangeres et incognues : ostez, dis-ie, aux conquerans cette disparité, vous leur ostez toute l’occasion de tant de victoires. Quand ie regarde à cette ardeur indomtable, dequoy tant de milliers d’hommes, femmes, et enfans, se presentent et reiettent à tant de fois, aux dangers ineuitables, pour la deffence de leurs dieux, et de leur liberté : cette genereuse