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nues, se faisant trainer par elles, en pompe, tout nud. L’empereur Firmus fit mener son coche, à des autruches de merueilleuse grandeur, de maniere qu’il sembloit plus voler que rouler.L’estrangeté de ces inuentions, me met en teste cett’autre fantasie : Que c’est vne espece de pusillanimité, aux monarques, et vn tesmoignage de ne sentir point assez, ce qu’ils sont, de trauailler à se faire valloir et paroistre, par despenses excessiues. Ce seroit chose excusable en pays estranger : mais parmy ses subiects, où il peut tout, il tire de sa dignité, le plus extreme degré d’honneur, où il puisse arriner. Comme à vn Gentil-homme, il me semble, qu’il est superflu de se vestir curieusement en son priué : sa maison, son train, sa cuysine respondent assez de luy. Le conseil qu’Isocrates donne à son Roy, ne me semble sans raison : Qu’il soit splendide en meubles et vtensiles d’autant que c’est vne despense de duree, qui passe iusques à ses successeurs et qu’il fuye toutes magnificences, qui s’escoulent incontinent et de l’vsage et de la memoire. l’aymois à me parer quand l’estoy cadet, à faute d’autre parure et me seoit bien. Il en est sur qui les belles robes pleurent. Nous auons des comtes merueilleux de la frugalité de nos Roys au tour de leurs personnes, et en leurs dons grands Roys en credit, en valeur, et en fortune. Demosthenes combat à outrance, la loy de sa ville, qui assignoit les deniers publics aux pompes des ieux, et de leurs festes. Il veut que leur grandeur se montre, en quantité de vaisseaux bien equippez, et bonnes armees bien fournies. Et à lon raison d’accuser Theophrastus, qui establit en son liure des richesses, vn aduis contraire et maintient telle nature de despense, estre le vray fruit de l’opulence. Ce sont plaisirs, dit Aristote, qui ne touchent que la plus basse commune : qui s’euanouissent de la souuenance aussi lost qu’on en est rassasié et desquels nul homme iudicieux et graue ne peut faire estime. L’emploitte me sembleroit bien plus royale, comme plus vtile, iuste et durable, en ports, en haures, fortifications et murs : en bastiments somptueux, en eglises, hospitaux, colleges, reformation de rues et chemins en quoy le Pape Gregoire treziesme lairra sa memoire recommandable à long temps : et en quoy nostre Royne Catherine tesmoigneroit à longues annees sa liberalité naturelle et munificence, si ses moyens suffisoient à son