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l’estomac, de même que je ne puis me sentir assis sur un siège qui vacille. Quand la voile ou le courant nous emporte d’un mouvement régulier ; ou que nous allons à la remorque, l’absence d’à coups fait que je n’éprouve pas de gêne ; ce que je ne puis souffrir, ce sont les mouvements saccadés, et plus ils sont lents plus ils m’incommodent ; je ne sais trop comment les dépeindre avec plus de précision. Les médecins m’ont conseillé, pour remédier à cette disposition, de me contenir le bas-ventre avec une serviette bien serrée ; c’est un moyen dont je n’ai pas essayé, parce que j’ai pour habitude de réagir contre les défauts que je puis avoir pour les dompter par ma seule volonté.

Variété d’emploi des chars ; comment ils ont été parfois utilisés à la guerre et pendant la paix. — Si ma mémoire me le permettait, je ne considérerais pas comme du temps perdu d’énumérer ici la variété infinie, au dire des historiens, des divers modes d’emploi des chars à la guerre. Ils ont varié suivant les nations et les temps, semblent avoir été d’un grand effet et étaient devenus une nécessité ; aussi est-il étonnant que nous ne soyons pas mieux documentés sur ce point. — Je ne ferai que rappeler qu’à une époque assez rapprochée, du temps de nos pères, les Hongrois s’en servirent avec succès contre les Turcs sur chacun se trouvaient un soldat armé d’un bouclier et un mousquetaire, avec nombre d’arquebuses chargées et disposées prêtes à faire feu, le tout couvert d’une forte bâche, comme le sont les galiotes. Ils en avaient jusqu’à trois mille semblables, établis sur le front de bataille. Après que le canon avait joué, ceux qui montaient ces chars, déchargeaient[1] tout d’abord sur l’ennemi les armes à feu qui y avaient été placées, ce qui n’était pas sans donner un certain avantage, puis on se portait contre lui. Ils les employaient aussi en les lançant contre la cavalerie de l’adversaire, pour la rompre et y faire brèche ; et cela indépendamment du secours qu’ils en[2] tiraient, quand ils craignaient des surprises, pour garder leurs flancs lorsqu’ils étaient en marche en rase campagne, ou encore pour couvrir en hâte et fortifier un lieu de stationnement. — De mon temps, sur l’une de nos frontières, un gentilhomme qui était peu dispos de sa personne, ne trouvant pas de cheval capable de le porter en raison de son poids et redoutant une attaque, parcourait le pays sur un char semblable à ceux que je viens de décrire et s’en trouvait bien. Bornons-nous là pour les chars employés à la guerre.

Les derniers rois de notre première race, dont la fainéantise ressortait cependant bien déjà suffisamment autrement, voyageaient et se promenaient sur un char tiré par quatre bœufs. Marc-Antoine fut le premier qui, en compagnie d’une jeune musicienne, se fit conduire dans Rome par des lions attelés à son char. Postérieurement, Héliogabale en fit autant, se disant être Cybèle la mère des dieux ; il allait aussi attelant des tigres pour figurer Bacchus et il lui arriva d’atteler son char de deux cerfs, une autre fois de quatre

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