Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/296

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Me demandez vous d’où vient cette coustume, de benir ceux qui esternuent ? Nous produisons trois sortes de vent ; celuy qui sort par embas est trop sale : celuy qui sort par la bouche, porte quelque reproche de gourmandise : le troisiesme est l’esternuement : et parce qu’il vient de la teste, et est sans blasme, nous luy faisons cet honneste recueil. Ne vous moquez pas de cette subtilité, elle est, dit-on, d’Aristote.Il me semble auoir veu en Plutarque (qui est de tous les autheurs que ie cognoisse, celuy qui a mieux meslé l’art à la nature, et le iugement à la science) rendant la cause du sousleuement d’estomach, qui aduient à ceux qui voyagent en mer, que cela leur arriue de crainte ayant trouué quelque raison, par laquelle il prouue, que la crainte peut produire vn tel effect. Moy qui y suis fort subiect, sçay bien, que cette cause ne me touche pas. Et le sçay, non par argument, mais par necessaire experience. Sans alleguer ce qu’on m’a dict, qu’il en arriue de mesme souuent aux bestes, specialement aux pourceaux, hors de toute apprehension de danger et ce qu’vn mien cognoissant, m’a tesmoigné de soy, qu’y estant fort subiect, l’enuie de vomir luy estoit passee, deux ou trois fois, se trouuant pressé de frayeur, en grande tourmente. Comme à cet ancien : Peius vexabar quàm vt periculum mihi succurreret. le n’euz iamais peur sur l’eau : comme ie n’ay aussi ailleurs (et s’en est assez souvent offert de iustes, si la mort l’est) qui m’ait troublé ou esbloux. Elle naist par fois de faute de iugement, comme de faute de cœur. Tous les dangers que l’ay veu, ç’a esté les yeux ouverts, la veue libre, saine, et entiere. Encore faut-il du courage à craindre. Il me seruit autrefois au prix d’autres, pour conduire et tenir en ordre ma fuite, qu’elle fust sinon sans crainte, toutesfois sans effroy, et sans estonnement. Elle estoit esmeue, mais non pas estourdie ny esperdue. Les grandes ames vont bien plus outre, et representent des fuites, non rassises seulement, et saines, mais fieres. Disons celle qu’Alcibiades recite de Socrates, son compagnon d’armes : le le trouuay, dit-il, après la route de nostre armee, luy et Lachez, des derniers entre les fuyans et le consideray tout à mon aise, et en seureté, car l’estois sur vn bon cheual, et luy à pied, et auions ainsi combatu. Ie remarquay premierement, combien il montroit d’auisement et de resolution, au prix de Lachez : et puis la brauerie de son marcher, nullement different du sien ordinaire : sa veue ferme et reglee, considerant et iugeant ce qui se passoit autour de luy regardant tantost les vns, tantost les autres,