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presche la moderation, non la fuitte. L’effort de sa resistance s’emploie contre les estrangeres et bastardes. Elle dit que les appetits du corps ne doiuent pas estre augmentez par l’esprit. Et nous aduertit ingenieusement, de ne vouloir point esueiller nostre faim par la saturité de ne vouloir farcir, au lieu de remplir le ventre : d’euiter toute iouyssance, qui nous met en disette : et toute viande et breuuage, qui nous altere, et affame. Comme au seruice de l’amour elle nous ordonne, de prendre vn obiect qui satisface simplement au besoing du corps, qui n’esmeuue point l’ame : laquelle n’en doit pas faire son faict, ains suyure nüement et assister le corps. Mais ay-ie pas raison d’estimer, que ces preceptes, qui ont pourtant d’ailleurs, selon moy, vn peu de rigueur, regardent vn corps qui face son office : et qu’à vn corps abbattu, comme vu estomach prosterné, il est excusable de le rechauffer et souslenir par art et par l’entremise de la fantasie, luy faire reuenir l’appetit et l’allegresse, puis que de soy il l’a perdue ? Pouuons nous pas dire, qu’il n’y a rien en nous, pendant cette prison terrestre, purement, ny corporel, ny spirituel et qu’iniurieusement nous desmembrons vn homme tout vif : et qu’il semble y auoir raison, que nous nous portions enuers l’vsage du plaisir, aussi fauorablement aumoins, que nous faisons enuers la douleur ? Elle estoit, pour exemple, vehemente, iusques à la perfection, en l’ame des saincts par la penitence. Le corps y auoit naturellement part, par le droict de leur colligance, et si pouuoit auoir peu de part à la cause : si ne se sont ils pas contentez qu’il suyuist nuement, et assistast l’ame affligee. Ils l’ont affligé luymesme, de peines atroces et propres : affin qu’à l’enuy I’vn de l’autre, l’ame et le corps plongeassent l’homme dans la douleur, d’autant plus salutaire, que plus aspre. En pareil cas, aux plaisirs corporels, est-ce pas iniustice d’en refroidir l’ame, et dire, qu’il l’y faille entraîner, comme à quelque obligation et necessité contreinte et seruile ? C’est à elle plustost de les couuer et fomenter : de s’y presenter et conuier : la charge de regir luy appartenant. Comme c’est aussi à mon aduis à elle, aux plaisirs, qui luy sont propres, d’en inspirer et infondre au corps tout le ressentiment que porte sa condition, et de s’estudier qu’ils Juy soient doux et salutaires. Car c’est bien raison, comme ils di-