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ce soit, comme on le voit faire à cette déesse, à laquelle on prête tant de changements et tant d’amants. Il est vrai que si l’amour n’est pas violent, ce n’est plus l’amour, et que violence et constance ne marchent pas de pair. Que ceux qui s’étonnent de cette inconstance, qui se récrient et recherchent les causes de cette maladie qui les possède et qu’ils qualifient de dénaturée et d’incroyable, regardent combien il s’en trouve parmi eux qui en sont affectés sans pour cela s’en épouvanter et croire à un miracle. II serait plutôt étrange de constater en elles de la constance, parce que cette passion n’est pas seulement un effet des sens, et que si l’avarice et l’ambition sont sans limites, il n’y en a pas davantage pour la luxure ; elle survit à la satiété, on ne peut lui assigner ni de se fixer, ni de prendre fin ; elle va toujours de l’avant, étendant sans cesse son action. — Peut-être l’inconstance est-elle, en quelque sorte, plus pardonnable chez la femme que chez nous ; comme nous, elle peut invoquer le penchant, qui nous est commun, à rechercher la variété et la nouveauté ; mais elle peut de plus alléguer, tandis que nous ne le pouvons pas, qu’elles achètent chat en poche, c’est-à-dire sans être suffisamment renseignées. Jeanne reine de Naples fit étrangler sous le grillage de sa fenêtre Andréosso son premier mari, avec un lacet d’or et d’argent tissé de ses propres mains, parce qu’elle ne le trouvait pas nanti, pour la satisfaction de ses corvées conjugales, d’organes et de vigueur répondant suffisamment à l’espérance qu’elle en avait conçue en voyant sa taille, sa beauté, sa jeunesse et les bonnes dispositions en lesquelles il paraissait, qui l’avaient séduite et abusée. — À cette excuse, s’ajoute que le rôle actif comportant plus d’efforts que le rôle passif, la femme est, elle du moins, toujours en état de satisfaire à ce qui lui incombe, tandis qu’il peut en être autrement de nous. C’est pour ce motif que Platon établit fort sagement dans ses lois, qu’avant tout mariage et pour décider de son opportunité, les juges devront examiner les garçons et les filles qui y prétendent, ceux-là nus de la tête aux pieds, celles-ci jusqu’à la ceinture seulement. — Il peut arriver qu’à l’essai, la femme ne nous trouve pas digne de son choix, qu’ « après avoir vainement employé toute son industrie à exciter son époux, elle abandonne une couche impuissante (Martial) ». Ce n’est pas tout, en effet, que la volonté y soit, la faiblesse et l’incapacité sont des causes légitimes qui rompent le mariage : « Il faut alors chercher ailleurs un époux plus capable de délier la ceinture virginale (Catulle). » Et pourquoi ne serait-ce pas et n’en prendrait-elle pas un autre à sa mesure, ayant des choses de l’amour une intelligence plus licencieuse et plus active, si celui qu’elle a « ne peut mener à bonne fin ce doux labeur (Virgile) » ?

Quand l’âge nous atteint, ne nous leurrons pas sur ce dont nous sommes encore capables et ne nous exposons à être dédaignés. — N’est-ce pas une grande impudence de nous présenter avec nos imperfections et nos faiblesses, là où nous désirerions plaire, donner une bonne impression de nous et nous faire