Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/260

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auons à l’auanture raison, de nous blasmer, de faire vne si sotte production que l’homme d’appeller l’action honteuse, et honteuses les parties qui y seruent (à cette heure sont les miennes proprement honteuses). Les Esseniens, dequoy parle Pline, se maintenoient sans nourrice, sans maillot, plusieurs siecles de l’abbord des estrangers, qui, suiuants cette belle humeur, se rengeoient continuellement à eux ayant toute vne nation, hazardé de s’exterminer plustost, que s’engager à vn embrassement feminin, et de perdre la suitte des hommes plustost, que d’en forger vn. Ils disent que Zenon n’eut affaire à femme, qu’vne fois en sa vie : et que ce fut par ciuilité, pour ne sembler dedaiguer trop obstinement le sexe. Chacun fuit à le voir naistre, chacun court à le voir mourir. Pour le destruire, on cerche vn champ spacieux en pleine lumiere pour le construire, on se musse dans vn creux tenebreux, et le plus contraint qu’il se peut. C’est le deuoir, de se cacher pour le faire, et c’est gloire, et naissent plusieurs vertus, de le sçauoir deffaire. L’vn est iniure, l’autre est faueur car Aristote dit, que bonifier quelqu’vn, c’est le tuer, en certaine phrase de son païs. Les Athe niens, pour apparier la deffaueur de ces deux actions, ayants à mundifier l’isle de Delos, et se iustifier enuers Apollo, defendirent au pourpris d’icelle, tout enterrement, et tout enfantemeut ensemble. Nostri nosmet pænitet.Il y a des nations qui se couurent en mangeant. Ie sçay vne dame, et des plus grandes, qui a cette mesme opinion, que c’est vne contenance desagreable, de mascher : qui rabat beaucoup de leur grace, et de leur beauté : et ne se presente pas volontiers en public aucc appetit. Et sçay vn honime, qui ne peut souffrir de voir manger, ny qu’on le voye : et fuyt toute assistance, plus quand il s’emplit, que s’il se vuide. En l’empire du Turc, il se void grand nombre d’hommes, qui, pour exceller les autres, ne se laissent iamais veoir, quand ils font leur repas ; qui n’en font qu’vn la sepmaine : qui se deschiquettent et decoupent la face et les membres : qui ne parlent iamais à personne. Gens fanatiques, qui pensent honnorer leur nature en se desnaturant : qui se prisent de leur mespris, et s’amendent de leur empirement. Quel monstrueux animal, qui se fait horreur à soy-même, à qui ses plaisirs poisent qui se tient à mal-heur ? Il y en a qui cachent leur vie,