Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/256

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de ce qu’elle produit ordinairement ses plus profondes resueries, plus folles, et qui me plaisent le mieux, à l’improuueu, et lors que ic les cherche moins : lesquelles s’esuanouissent soudain, n’ayant sur le champ où les attacher. À cheual, à la table, au lict. Mais plus à cheual, où sont mes plus larges entretiens. I’ay le parler vn peu delicatement ialoux d’attention et de silence, si ie parle de force. Qui m’interrompt, m’arreste. En voyage, la necessité mesme des chemins couppe les propos. Outre ce, que ie voyage plus souuent sans compagnie, propre à ces entretiens de suite par où ie prens tout loisir de m’entretenir moy-mesme. Il m’en aduient comme de mes songes : en songeant, ie les recommande à ma memoire, car ie songe volontiers que ie songe, mais le lendemain, ie me represente bien leur couleur, comme elle estoit, ou gaye, ou triste, ou estrange, mais quels ils estoient au reste, plus i’ahane à le trouuer, plus ie l’enfonce en l’oubliance. Aussi des discours fortuites qui me tombent en fantasie, il ne m’en reste en memoire qu’vne vaine image autant seulement qu’il m’en faut pour me faire ronger, et despiter apres leur queste, inutilement.Or donc, laissant les liures à part, et parlant plus materiellement et simplement : ie troue apres tout, que l’amour n’est autre chose, que la soif de cette iouyssance en vn subiect desiré : ny Venus autre chose, que le plaisir à descharger ses vases : comme le plaisir que nature nous donne à descharger d’autres parties : qui deuient vicieux ou par immoderation, ou par indiscretion. Pour Socrates, l’amour est appetit de generation par l’entremise de la beauté. Et considerant maintefois la ridicule titillation de ce plaisir, les absurdes mouuemens esceruelez et estourdis, dequoy il agite Zenon et Cratippus : cette rage indiscrete, ce visage enflammé de fureur et de cruauté, au plus doux effect de l’amour : et puis cette morgue graue, seuere, et ecstatique, en vne action si folle, qu’on ayt logé pesle-