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sert par amour, chacun aymoit à s’y venir promener, et y passer son temps : nul ne l’aymoit pour l’espouser : c’est à dire, pour s’y habituer et domicilier. l’ay auec despit, veu des maris hayr leurs femmes, de ce seulement, qu’ils leur font tort. Aumoins ne les faut il pas moins aymer, de nostre faute par repentance et compassion aumoins, elles nous en deuroient estre plus cheres.Ce sont fins differentes, et pourtant compatibles, dit-il, en quelque façon. Le mariage a pour sa part, l’vtilité, la iustice, l’honneur, et la constance vn plaisir plat, mais plus vniuersel. L’amour se fonde au seul plaisir et l’a de vray plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu : vn plaisir attizé par la difficulté il y faut de la piqueure et de la cuison. Ce n’est plus amour, s’il est sans fleches et sans feu. La liberalité des dames est trop profuse au mariage, et esmousse la poincte de l’affection et du desir. Pour fuïr à cet inconuenient, voyez la peine qu’y prennent en leurs loix Lycurgus et Platon.Les femmes n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les regles de vie, qui sont introduites au monde d’autant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y a naturellement de la brigue et riotte entre elles et nous. Le plus estroit consentement que nous ayons auec elles, encores est-il tumultuaire et tempestueux. À l’aduis de nostre autheur, nous les traictons inconsiderément en cecy. Apres que nous auons cogneu, qu’elles sont sans comparaison plus capables et ardentes aux effects de l’amour que nous, et que ce prestre ancien l’a ainsi tesmoigné, qui auoit esté tantost homme, tantost femme :

Venus huic erat vtraque nota.

Et en outre, que nous auons appris de leur propre bouche, la preuue qu’en firent autrefois, en diuers siecles, vn Empereur et vne Emperiere de Rome, maistres ouuriers et fameux en cette besongne luy despucela bien en vne nuict dix vierges Sarmates ses captiues mais elle fournit reelement en vne nuict, à vingt et cinq entreprinses, changeant de compagnie selon besoing et son goust,

Adhuc ardens rigidæ tentigine vuluæ :
Et lassata viris, nondum satiata recessit.

Et que sur le different aduenu à Cateloigne, entre vne femme, se plaignant des efforts trop assiduelz de son mary (non tant à mon aduis qu’elle en fust incommodce, car ie ne crois les miracles qu’en foy, comme pour retrancher soubs ce pretexte, et brider en ce mesme, qui est l’action fondamentale du mariage, l’authorité des maris enuers leurs femmes : et pour montrer que leurs hergnes, et