Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/192

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Mensque pati durum sustinet ægra nihil.

I'ay esté tousiours chatouilleux et delicat aux offences, ie suis plus tendre à cette heure, et ouuert par tout.

Et minimæ vires frangere quassa valent.

Mon iugement m'empesche bien de regimber et gronder contre les inconuenients que Nature n'ordonne à souffrir, mais non pas de les sentir. Ie courrois d'vn bout du monde à l'autre, chercher vn bon an de tranquillité plaisante et eniouce, moy, qui n'ay autre fin que viure et me resiouyr. La tranquillité sombre et stupide, se trouue assez pour moy, mais elle m'endort et enteste ie ne m'en contente pas. S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie, aux champs, en la ville, en France, ou ailleurs, resseante, ou voyagere, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soyent bonnes, il n'est que de siffler en pauine, ie leur iray fournir des Essays, en chair et en os.Puisque c'est le priuilege de l'esprit, de se r'auoir de la vieillesse, ie luy conseille autant que ie puis, de le faire qu'il verdisse, qu'il fleurisse ce pendant, s'il peut, comme le guy sur vn arbre mort. Ie crains que c'est vn traistre: il s'est si estroittement affreté au corps, qu'il m'abandonne à tous coups, pour le suiure en sa necessité. Ie le flatte à part, ie le practique pour neant: i'ay beau essayer de le destourner de cette colligence, et luy presenter et Seneque et Catulle, et les dames et les dances royalles: si son compagnon a la cholique, il semble qu'il l'ayt aussi. Les puissances mesmes qui luy sont particulieres et propres, ne se peuuent lors sousleuer: elles sentent euidemment le morfondu : il n'y a poinct d'allegresse en ses productions, s'il n'en y a quand et quand au corps.Noz maistres ont tort, dequoy cherchants les causes des eslancements extraordinaires de nostre esprit, outre ce qu'ils en attribuent à vn rauissement diuin, à l'amour, à l'aspreté guerriere, à la poësie, au vin ils n'en ont donné sa part à la santé. Vne santé bouillante, vigoureuse, pleine, oysiue, telle qu'autrefois la verdeur des ans et la securité, me la fournissoient par venues. Ce feu de gayeté suscite en l'esprit des eloises viues et claires outre nostre clairté naturelle et entre les enthousiasmes, les plus gaillards, sinon les plus esperdus. Or bien, ce n'est pas merueille, si vn contraire estat affesse mon esprit, le cloue, et en tire vn effect contraire.

Ad nullum consurgit opus cum corpore languet.

Et veut encores que ie luy sois tenu, dequoy il preste, comme il dit, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l'vsage ordinaire des hommes. Aumoins pendant que nous auons trefue,