Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/174

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d’eux, s’en transir, et reietter auec furie ailleurs leur pensee. A ceux qui passent vne profondeur effroyable, on ordonne de clorre ou destourner leurs yeux.Subrius Flauius, ayant par le commandement de Neron, à estre deffaict, et par les mains de Niger, tous deux chefs de guerre quand on le mena au champ, où l’execution deuoit estre faicte, voyant le trou que Niger auoit fait cauer pour le mettre, inegal et mal formé : Ny cela, mesme, dit-il, se tournant aux soldats qui y assistoyent, n’est selon la discipline militaire. Et à Niger, qui l’exhortoit de tenir la teste ferme Frapasses tu seulement aussi ferme. Et deuina bien car le bras tremblant à Niger, il la luy coupa à diuers coups. Cettuy-cy semble auoir eu sa pensee droittement et fixement au subiect.Celuy qui meurt en la meslee, les armes à la main, il n’estudie pas lors la mort, il ne la sent, ny ne la considere : l’ardeur du combat l’emporte. Vn honneste homme de ma cognoissance, estant tombé comme il se batoit en estocade, et se sentant daguer à terre par son ennemy de neuf ou dix coups, chacun des assistans luy crioit qu’il pensast à sa conscience, mais il me dit depuis, qu’encores que ces voix luy vinssent aux oreilles, elles ne l’auoient aucunement touché, et qu’il ne pensa iamais qu’à se descharger et à se venger. Il tua son homme en ce mesme com— bat. Beaucoup fit pour L. Syllanus, celuy qui luy apporta sa condamnation de ce qu’ayant ouy sa response, qu’il estoit bien preparé à mourir, mais non pas de mains scelerees : il se rua sur luy, auec ses soldats pour le forcer et comme luy tout desarmé, se defendoit obstinement de poingts et de pieds, il le fit mourir en ce debat dissipant en prompte cholere et tumultuaire, le sentiment penible d’vne mort longue et preparee, à quoy il estoit destiné.Nous pensons tousiours ailleurs : l’esperance d’vne meilleure vie nous arreste et appuye : ou l’esperance de la valeur de nos enfans : ou la gloire future de nostre nom : ou la fuitte des maux de cette vie ou la vengeance qui menasse ceux qui nous causent la mort :