Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/172

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Autant en fit-il à son poinct, et de la seconde et de la tierce : iusques à ce que par ce fouruoyement et diuertissement, l’aduantage de la course luy demeura.Quand les medecins ne peuuent purger le caterrhe, ils le diuertissent, et desuoyent à vne autre partic moins dangereuse. Ie m’apperçoy que c’est aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l’ame. Abducendus etiam nonnunquam animus est ad alia studia, solicitudines, curas, negotia : loci denique mutatione, tanquam ægroti non conualescentes, sæpe curandus est. On luy fait peu choquer les maux de droit fil : on ne luy en fait ny soustenir ny rabatre l’atteinte : on la luy fait decliner et gauchir. Cette autre leçon est trop haute et trop difficile. C’est à faire à ceux de la premiere classe, de s’arrester purement à la chose, la considerer, la iuger. Il appartient à vn seul Socrates, d’accointer la mort d’vn visage ordinaire, s’en appriuoiser et s’en iouer. Il ne cherche point de consolation hors de la chose le mourir luy semble accident naturel et indifferent : il fiche là iustement sa veuë, et s’y resoult, sans regarder ailleurs. Les disciples d’Hegesias, qui se font mourir de faim, eschauffez des beaux discours de ses leçons, et si dru que le Roy Ptolomee luy fit defendre de plus entretenir son eschole de ces homicides discours ceux là ne considerent point la mort en soy, ils ne la iugent point ce n’est pas là où ils arrestent leur pensee : ils courent, ils visent à vn estre nouueau.Ces pauures gens qu’on void sur l’eschaffaut, remplis d’vne ardente deuotion, y occupants tous leurs sens autant qu’ils peuuent : les aureilles aux instructions qu’on leur donne ; les yeux et les mains tendues au ciel : la voix à des prieres hautes, auec vne esmo tion aspre et continuelle, font certes chose louable et conuenable à vne telle necessité. On les doibt louer de religion : mais non proprement de constance. Ils fuyent la lucte : ils destournent de la mort leur consideration : comme on amuse les enfans pendant qu’on leur veut donner le coup de lancette. I’en ay veu, si par fois leur veuë se raualoit à ces horribles asprets de la mort, qui sont autour