Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/170

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ques. Et l’vsage des militaires, dequoy se scruit Pericles en la guerre Peloponnesiaque et mille autres ailleurs, pour reuoquer de leurs païs les forces contraires, est trop frequent aux histoires. Ce fut vn ingenieux destour, dequoy le Sieur d’Himbercourt sauua et soy et d’autres, en la ville du Liege où le Duc de Bourgongne, qui la tenoit assiegee, l’auoit fait entrer, pour executer les conuenances de leur reddition accordee. Ce peuple assemblé de nuict pour y pouruoir, commence à se mutiner contre ces accords passez et delibererent plusieurs, de courre sus aux negociateurs, qu’ils tenoient en leur puissance. Luy, sentant le vent de la premiere ondee de ces gens, qui venoient se ruer en son logis, lascha soudain vers eux, deux des habitans de la ville, (car il y en auoit aucuns auec luy) chargez de plus douces et nouuelles offres, à proposer en leur conseil, qu’il auoit forgees sur le champ pour son besoing. Ces deux arresterent la premiere tempeste, ramenant cette tourbe esmeüe en la maison de ville, pour ouyr leur charge, et y deliberer. La deliberation fut courte. Voicy desbonder vn second orage, autant animé que l’autre et luy à leur despecher en teste, quatre nouueaux et semblables intercesseurs, protestans auoir à leur declarer à ce coup, des presentations plus grasses, du tout à leur contentement et satisfaction par où ce peuple fut de rechef repoussé dans le conclaue. Somme, que par telle dispensation d’amusemens, diuertissant leur furie, et la dissipant en vaines consultations, il l’endormit en fin, et gaigna le iour, qui estoit son principal affaire.Cet autre comte est aussi de ce predicament. Atalante fille de beauté excellente, et de merueilleuse disposition, pour se deffaire de la presse de mille poursuiuants,’qui la demandoient en mariage, leur donna cette loy, qu’elle accepteroit celuy qui l’egalleroit à la course, pourueu que ceux qui y faudroient, en perdissent la vie. Il s’en trouua assez, qui estimerent ce prix digne d’vn tel hazard, et qui encoururent la peine de ce cruel marché. Hippoinenes ayant à faire son essay apres les autres, s’adressa à la deesse tutrice de cette amoureuse ardeur, l’appellant à son secours qui exauçant sa priere, le fournit de trois pommes d’or, et de leur vsage. Le champ de la course ouuert, à mesure qu’Hippomenes sent sa maistresse luy presser les talons, il laisse eschapper, comme par inaduertance, I’vne de ces pommes : la fille amusee de sa beauté, ne faut point de se destourner pour l’amasser :

Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi
Declinat cursus, aurúmque volubile tollit.