Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/168

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mal par la ialousie du debat. Nous voyons des propos communs, que ce que i’auray dit sans soing, si on vient à me le contester, ie m’en formalise, ie l’espouse : beaucoup plus ce à quoy i’aurois interest. Et puis en ce faisant, vous vous presentez à vostre operation d’vne entree rude : là où les premiers accueils du medecin enuers son patient, doiuent estre gracieux, gays, et aggreables. lamais medecin laid, et rechigné n’y fit ceuure. Au contraire doncq, il faut ayder d’arriuee et fauoriser leur plaincte, et en tesmoigner quelque approbation et excuse. Par cette intelligence, vous gaignez credit à passer outre, et d’vne facile et insensible inclination, vous vous coulez aux discours plus fermes et propres à leur guerison. Moy, qui ne desirois principalement que de piper l’assistance, qui auoit les yeux sur moy, m’aduisay de plastrer le mal. Aussi me trouueie par experience, auoir mauuaise main et infructueuse à persuader. Ou ie presente mes raisons trop pointues et trop seiches : ou trop brusquement ou trop nonchalamment. Apres que ie me fus appliqué vn temps à son tourment, ie n’essayay pas de le garir par fortes et viues raisons : par ce que i’en ay faute, ou que ie pensois autrement faire mieux mon effect. Ny n’allay choisissant les diuerses manieres, que la philosophie prescrit à consoler : Que ce qu’on plaint n’est pas mal, comme Cleanthes Que c’est vn leger mal, comme les Peripateticiens Que se plaindre n’est action, ny iuste, ny loüable, comme Chrysippus Ny cette cy d’Epicurus, plus voisine à mon style, de transferer la pensee des choses fascheuses aux plaisantes : Ny faire vne charge de tout cet amas, le dispensant par occasion, comme Cicero. Mais declinant tout mollement noz propos, et les gauchissant peu à peu, aux subiects plus voysins, et puis vn peu plus eslongnez, selon qu’elle se prestoit plus à moy, ie luy desrobay imperceptiblement cette pensee douloureuse et la tins en bonne contenance et du tout r’apaisee autant que i’y fus. I’vsay de diuer— sion. Ceux qui me suyuirent à ce mesme seruice, n’y trouuerent aucun amendement : car ie n’auois pas porté la coignee aux racines.A l’aduenture ay-ie touché quelque espece de diuersions publi-