Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/138

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leur gariement.En tous affaires quand ils sont passés, comment que ce soit, i’ay peu de regret : car cette imagination me met hors de peine, qu’ils deuoyent ainsi passer les voyla dans le grand cours de l’vniuers, et dans l’encheineure des causes Stoïques. Vostre fantasie n’en peut, par souhait et imagination, remuer vn poinct, que tout l’ordre des choses ne renuerse et le passé et l’aduenir.Au demeurant, ie hay cet accidental repentir que l’aage apporte. Celuy qui disoit anciennement, estre obligé aux annees, dequoy elles l’auoyent deffait de la volupté, auoit autre opinion que la mienne. Ie ne sçauray iamais bon gré à l’impuissance, de bien qu’elle me face. Nec tam auersa vnquam videbitur ab opere suo prouidentia, vt debilitas inter optima inuenta sit. Nos appetits sont rares en la vieillesse vne profonde satieté nous saisit apres le coup. En cela ie ne voy rien de conscience. Le chagrin, et la foiblesse nous impriment vne vertu lasche, et caterreuse. Il ne nous faut pas laisser emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d’en abastardir notre iugement. La ieunesse et le plaisir n’ont pas faict autrefois que i’aye mescogneu le visage du vice en la volupté : ny ne fait à cette heure, le degoust que les ans m’apportent, que ie mescognoisse celuy de la volupté au vice. Ores que ie n’y suis plus, i’en iuge comme si i’y estoy. Moy qui la secoue viuement et attentiuement, trouue que ma raison est celle mesme que i’anoy en l’aage plus licencieux sinon à l’auanture, d’autant qu’elle s’est affoiblie et empiree, en vieillissant. Et trouue que ce qu’elle refuse de m’enfourner à ce plaisir, en consideration de l’interest de ma santé corporelle, elle ne le feroit non plus qu’autrefois, pour la santé spirituelle. Pour la voir hors de combat, ie ne l’estime pas plus valeureuse. Mes tentations sont si cassees et mortifiees, qu’elles ne valent pas qu’elle s’y oppose : tendant seulement les mains au deuant, ie les coniure. Qu’on luy remette en presence, cette ancienne concupiscence, ie crains qu’elle auroit moins de force à la soustenir, qu’elle n’auoit autrefois. Je ne luy voy rien iuger à part soy, que lors elle ne iugeast, ny aucune nouuelle clarté. Parquoy s’il y a conualescence, c’est vne conualescence maleficiee. Miserable sorte de remede, deuoir à la maladie sa santé. Ce n’est pas à