Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/120

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n’offence, et qu’vn iugement entier n’accuse. Car il a de la laideur et incommodité si apparente, qu’à l’aduanture ceux-là ont raison, qui disent, qu’il est principalement produict par bestise et ignorance tant est-il mal-aisé d’imaginer qu’on le cognoisse sans le haïr. La malice hume la pluspart de son propre venin, et s’en empoisonne. Le vice laisse comme vn vlcere en la chair, vne repentance en l’ame, qui tousiours s’esgratigne, et s’ensanglante elle mesme. Car la raison efface les autres tristesses et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance qui est plus griefue, d’autant qu’elle naist au dedans : comme le froid et le chaud des fiéures est plus poignant, que celuy qui vient du dehors. Ie tiens pour vices, mais chacun selon sa mesure, non seulement ceux que la raison et la nature condamnent, mais ceux aussi que l’opinion des hommes a forgé, voire fauce et erronee, si les loix et l’vsage l’auctorise.Il n’est pareillement bonté, qui ne resiouysse vne nature bien nee. Il y a certes ie ne sçay quelle congratulation, de bien faire, qui nous resiouit en nous mesmes, et vne fierté genereuse, qui accompagne la bonne conscience. Vne ame courageusement vitieuse, se peut à l’aduenture garnir de securité mais de cette complaisance et satisfaction, elle ne s’en peut fournir. Ce n’est pas vn leger plaisir, de se sentir preserué de la contagion d’vn siecle si gasté, et de dire en soy Qui me verroit iusques dans l’ame, encore ne me trouueroit-il coupable, ny de l’affliction et ruyne de personne : ny de vengeance ou d’enuie, ny d’offence publique des loix : ny de nouuelleté et de trouble : ny de faute à ma parole et quoy que la licence du temps permist et apprinst à chacun, si n’ay-ie inis la main ny és biens, ny en la bourse d’homme François, et n’ay vescu que sur la mienne non plus en guerre qu’en paix ny ne me suis seruy du trauail de personne, sans loyer. Ces tesmoignages de la conscience, plaisent, et nous est grand benefice que cette esiouyssance naturelle et le seul payement qui iamais ne nous manque.De fonder la recompence des actions vertueuses, sur l’approbation d’autruy, c’est prendre vn trop incertain et trouble fondement, signamment en vn siecle corrompu et ignorant, comme cettuy cy : la bonne estime du peuple est iniurieuse. A qui vous fiez vous, de veoir ce qui est louable ? Dieu me garde d’estre homme de bien, selon la