Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

cutions de la haute iustice : charge autant vtile, comme elle est peu honneste. Outre la vilité de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Seïanus ne pouuant estre punie à mort, en certaine forme de iugement à Rome, d’autant qu’elle estoit vierge, fut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, auant qu’il l’estranglast. Non sa main seulement, mais son ame, est esclaue à la commodité publique.Quand le premier Amurath, pour aigrir la punition contre ses subiects, qui auoient donné support à la parricide rebellion de son fils, ordonna, que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution : ie trouue tres-honeste à aucuns d’iceux, d’auoir choisi plustost, d’estre iniustement tenus coulpables du parricide d’vn autre, que de seruir la iustice de leur propre parricide. Et où en quelques bicoques forcees de mon temps, i’ay veu des coquins, pour garantir leur vic, accepter de pendre leurs amis et consorts, ie les ay tenus de pire condition que les pendus. On dit que Vuitolde Prince de Lituanie, introduisit en cette nation, que le criminel condamné à mort, eust luy mesme de sa main, à se deffaire trouuant estrange, qu’vn tiers innocent de la faute, fust employé et chargé d’vn homicide.Le Prince, quand vne vrgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le iette hors de son deuoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à vn coup de la verge diuine. Vice n’est-ce pas, car il a quitté sa raison, à vne plus vniuerselle et puissante raison : mais certes c’est malheur. De maniere qu’à quelqu’vn qui me demandoit : Quel remede ? nul remede, fis-ie, s’il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes (sed videat ne quæratur latebra periurio) il le falloit faire : mais s’il le fit, sans regret, s’il ne luy greua de le faire, c’est signe que sa conscience est en mauuais termes. Quand il s’en trouueroit quelqu’vn de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d’vn si poisant remede, ie ne l’en estimeroy pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouuons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souuent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vais-