Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/676

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glaiue ; honteux à mon aduis, d’auoir eu besoin d’vn si cher et pretieux enseignement.Pompeia Paulina, ieune et tres-noble Dame Romaine, auoit espousé Seneque, en son extreme vieillesse. Neron, son beau disciple, enuoya ses satellites vers luy, pour luy denoncer l’ordonnance de sa mort, ce qui se faisoit en cette maniere. Quand les Empereurs Romains de ce temps, auoyent condamné quelque homme de qualité, ils luy mandoyent par leurs officiers de choisir quelque mort à sa poste, et de la prendre dans tel, ou tel delay, qu’ils luy faisoyent prescrire selon la trempe de leur cholere, tantost plus pressé, tantost plus long, luy donnant terme pour disposer pendant ce temps là, de ses affaires, et quelque fois luy ostant le moyen de ce faire, par la briefueté du temps : et si le condamné estriuoit à leur ordonnance, ils menoyent des gens propres à l’executer, ou luy couppant les veines des bras, et des iambes, ou luy faisant aualler du poison par force. Mais les personnes d’honneur, n’attendoyent pas cette necessité, et se seruoyent de leurs propres medecins et chirurgiens à cet effect. Seneque ouyt leur charge, d’vn visage paisible et asseuré, et apres, demanda du papier pour faire son testament : ce que luy ayant esté refusé par le Capitaine, il se tourne vers ses amis Puis que ie ne puis, leur dit-il, vous laisser autre chose en recognoissance de ce que ie vous doy, ie vous laisse au moins ce que i’ay de plus beau, à sçauoir l’image de mes mœurs et de ma vie, laquelle ie vous prie conseruer en vostre memoire affin qu’en ce faisant, vous acqueriez la gloire de sinceres et veritables amis. Et quant et quant, appaisant tantost l’aigreur de la douleur, qu’il leur voyoit souffrir, par douces paroles, tantost roidissant sa voix, pour les tancer : Où sout, disoit-il, ces beaux preceptes de la philosophie ? que sont deuenuës les prouisions, que par tant d’années nous auons faictes, contre les accidens de la fortune ? la cruauté de Neron nous estoit elle incognue ? que pouuions nous attendre de celuy, qui auoit tué sa mere et son frere, sinon qu’il fist encor mourir son gouuerneur, qui l’a nourry et esleué ? Apres auoir dit ces paroles en commun, il se destourne à sa femme, et l’embrassant estroitlement, comme par la pesanteur de la douleur elle deffailloit de cœur et de forces ; la pria de porter vn peu plus patiemment cet accident, pour l’amour de luy ; et que l’heure estoit venue, où il auoit à montrer, non plus par discours et par disputes, mais par effect, le fruict qu’il auoit tiré de ses estudes : et que sans doubte il embrassoit la mort, non seulement sans douleur, mais auecques allegresse. Parquoy m’amic, disoit-il, ne la deshonnore par tes larmes, affin qu’il ne semble que tu t’aimes plus que ma reputation appaise ta dou-