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morts. La vie est pleine de combustion, le trespas d’amour, et de courtoisie. Comme les peres cachent l’affection enuers leurs enfans, elles volontiers de mesmes, cachent la leur enuers le mary, pour maintenir vn honneste respect. Ce mystere n’est pas de mon goust. Elles ont beau s’escheueler et s’esgratigner ; ie m’en vois à l’oreille d’vne femme de chambre, et d’vn secretaire : comment estoient-ils, Comment ont-ils vescu ensemble ? il me souuient tousiours de ce bon mot, iactantius mærent, quæ minus dolent. Leur rechigner est odieux aux viuans, et vain aux morts. Nous dispenserons volontiers qu’on rie apres, pourucu qu’on nous rie pendant la vie. Est-ce pas de quoy resusciter de despit : qui m’aura craché au nez pendant que i’estoy, me vienne frotter les pieds, quand ie ne suis plus ? S’il y a quelque honneur à pleurer les maris, il n’appartient qu’à celles qui leur ont ry : celles qui ont pleuré en la vie, qu’elles rient en la mort, au dehors comme au dedans. Aussi, ne regardez pas à ces yeux moites, et à cette piteuse voix : regardez ce port, ce teinct, et l’embonpoinct de ces iouës, soubs ces grands voiles c’est par là qu’elle parle François. Il en est peu, de qui la santé n’aille en amendant, qualité qui ne sçait pas mentir. Cette ceremonieuse contenance ne regarde pas tant derriere soy, que deuant ; c’est acquest, plus que payement. En mon enfance, vne honneste et tresbelle dame, qui vit encores, vefue d’vn Prince, auoit ie ne sçay quoy plus en sa parure, qu’il n’est permis par les loix de nostre vefuage à ceux qui le luy reprochoient : C’est, disoit clle, que ie ne practique plus de nouuelles amitiez, et suis hors de volonté de me remarier. Pour ne disconuenir du tout à nostre vsage, i’ay icy choisi trois femmes, qui ont aussi employé l’effort de leur bonté, et affection, autour la mort de leurs maris. Ce sont pourtant exemples vn peu autres, et si pressans, qu’ils tirent hardiment la vie en consequence.Pline le ieune auoit pres d’vne sienne maison en Italie, vn voisin merueilleusement tourmenté de quelques vlceres, qui luy estoient suruenues és parties honteuses. Sa femme le voyant si longuement languir, le pria de permettre, qu’elle veist à loisir et de pres l’estat de son mal, et qu’elle luy diroit plus franchement qu’aucun autre ce qu’il auoit à en esperer. Après auoir