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tenant en sa main gauche ses tablettes hors de l’eau, et trainant à belles dents sa cotte d’armes, afin que l’ennemy n’en iouyst, estant desia bien auancé sur l’aage.Iamais chef de guerre n’eut lant de creance sur ses soldats. Au commencement de ses guerres ciuiles, les centeniers luy offrirent de soudoyer chacun sur sa bourse, vn homme d’armes, et les gens de pied, de le seruir à leurs despens ceux qui estoyent plus aysez, entreprenants encore à deffrayer les plus necessiteux. Feu Monsieur l’Admiral de Chastillon nous fit veoir dernierement vn pareil cas en noz guerres ciuiles : car les François de son armée, fournissoient de leurs bourses au payement des estrangers, qui l’accompagnoient. Il ne se trouueroit guere d’exemples d’affection si ardente et si preste, parmy ceux qui marchent dans le vieux train, soubs l’ancienne police des loix. La passion nous commande bien plus viuement que la raison. Il est pourtant aduenu en la guerre contre Annibal, qu’à l’exemple de la liberalité du peuple Romain en la ville, les gendarmes et Capitaines refuserent leur paye ; et appelloit on au camp de Marcellus, mercenaires, ceux qui en prenoient. Ayant eu du pire aupres de Dyrrachium, ses soldats se vindrent d’eux mesmes offrir à estre chastiez et punis, de façon qu’il eut plus à les consoler qu’à les tancer. Vne sienne seule cohorte, soustint quatre legions de Pompeius plus de quatre heures, iusques à ce qu’elle fut quasi toute deffaicte à coups de trait, et se trouua dans la tranchée, cent trente mille flesches. Vn soldat nommé Scæua, qui commandoit à l’vne des entrées, s’y maintint inuincible ayant vn ceil creué, vne espaule et vne cuisse percées, et son escu faucé en deux cens trente lieux. Il est aduenu à plusieurs de ses soldats pris prisonniers, d’accepter plustost la mort, que de vouloir promettre de prendre autre party. Granius Petronius, pris par Scipion en Affrique, Scipion apres auoir faict mourir ses compagnons, luy manda qu’il luy donnoit la vie, car il estoit homme de reng et questeur : Petronius respondit que les soldats de Cæsar auoyent accoustumé de donner la vie aux autres, non la receuoir ; et se tua tout soudain de sa main propre.Il y a infinis exemples de leur fidelité : il ne faut pas oublier le traict de ceux qui furent assiegez à Salone, ville partizane pour Cæsar contre Pompeius, pour vn rare accident qui y aduint. Marcus Octauius les tenoit assiegez ; ceux de dedans estans reduits en extreme necessité de toutes choses, en maniere que pour suppleer au deffaut qu’ils auoyent d’hommes, la plus part d’entre