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d’avoir la possibilité de pourvoir à la direction de toutes les parties du gouvernement dont il a la charge.

Avec le temps, César devint plus retenu dans ses entreprises. — Avec le temps, César devint un peu moins prompt et plus circonspect dans ses résolutions, ainsi que nous l’apprend Oppius qui était de son intimité, pensant qu’il ne devait pas compromettre la si haute renommée qu’il devait à tant de victoires, et qu’une seule défaite pouvait lui faire perdre. C’est ce qu’expriment les Italiens, quand ils veulent reprocher à quelqu’un cette hardiesse téméraire qui se rencontre chez les jeunes gens ; ils disent de lui que c’est un « besogneux d’honneur », un affamé de réputation et que, n’en ayant pas encore, ils ont raison de chercher à en acquérir à quelque prix que ce soit, ce que ne doivent pas faire ceux qui sont déjà arrivés. Ce changement chez César peut provenir d’une juste mesure à garder dans ce désir de gloire ; peut-être aussi finiton par en être rassasié comme de toutes autres choses, car assez de gens en agissent ainsi.

Quoique peu scrupuleux, il n’approuvait cependant pas qu’à la guerre on se servit de toutes sortes de moyens pour obtenir le succès. — César était bien loin d’avoir ce scrupule des anciens Romains, qui ne voulaient devoir leur succès à la guerre qu’à leur courage tel qu’ils l’avaient reçu de la nature, sans avoir recours à aucun artifice ; malgré cela, il y apportait plus de conscience que nous ne ferions à l’époque actuelle, et n’estimait pas que tous les moyens sont bons pour obtenir la victoire. Dans sa guerre contre Arioviste, il était en pourparlers avec lui, quand un mouvement se produisit entre les deux armées, provoqué par la faute des cavaliers de ce chef gaulois. De ce qui s’ensuivit, César se trouva être en situation très avantageuse vis-à-vis de son ennemi ; il ne voulut pas toutefois s’en prévaloir, afin de ne pas s’exposer au reproche d’avoir usé de mauvaise foi.

Il revêtait d’habitude, pour le combat, de riches costumes aux couleurs éclatantes qui permettaient de le distinguer de loin.

Quand l’ennemi était proche, il tenait ses soldats plus de court, se montrant beaucoup plus exigeant sous le rapport de la discipline.

Il savait très bien nager et aimait à aller à pied. — Lorsque, jadis, les Grecs voulaient marquer que quelqu’un était de la dernière incapacité, ils disaient de lui ce dicton populaire : « qu’il ne savait ni lire, ni nager ». César tenait, lui aussi, que savoir nager est d’une très grande utilité à la guerre, et cela lui servit à diverses reprises. Quand il voulait faire diligence, il franchissait d’ordinaire à la nage les rivières qu’il rencontrait sur sa route, car, comme Alexandre le Grand, il aimait à voyager à pied. — En Égypte, obligé, un jour, pour échapper à ses ennemis, de se jeter dans une chaloupe, tant de gens s’y précipitèrent en même temps que lui, qu’il y avait danger que la barque enfonçat, et il préféra se jeter à la mer et gagner à la nage sa flotte qui était à plus de -