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armez, et leur faisoit porter des harnois grauez, dorez et argentez : afin que le soing de la conseruation de leurs armes, les rendist plus aspres à se deffendre. Parlant à eux, il les appelloit du nom de compagnons, que nous vsons encore : ce qu’Auguste son successeur reforma, estimant qu’il l’auoit faict pour la necessité de ses affaires, et pour flatter le cœur de ceux qui ne le suyuoient que volontairement :

Rheni mihi Cæsar in vndis
Dux erat hic socius ; facinus quos inquinat, æquat ;

mais que cette façon estoit trop rabbaissée, pour la dignité d’vn Empereur et general d’armée, et remit en train de les appeller seulement soldats.A cette courtoisie, Cæsar mesloit toutesfois vne grande seuerité, à les reprimer. La neufiesme legion s’estant mutinée au pres de Plaisance, il la cassa auec ignominie, quoy que Pompeius fust lors encore en pieds, et ne la reçeut en grace qu’auec plusieurs supplications. Il les rappaisoit plus par authorité et par audace, que par douceur.Là où il parle de son passage de la riuiere du Rhin, vers l’Allemaigne, il dit qu’estimant indigne de l’honneur du peuple Romain, qu’il passast son armée à nauires, il fit dresser vn pont, afin qu’il passast à pied ferme. Ce fut là, qu’il bastit ce pont admirable, dequoy il dechiffre particulierement la fabrique car il ne s’arreste si volontiers en nul endroit de ses faits, qu’à nous representer la subtilité de ses inuentions, en telle sorte d’ouurages de main.I’y ay aussi remarqué cela, qu’il fait grand cas de ses exhortations aux soldats auant le combat car où il veut montrer auoir esté surpris, ou pressé, il allegue tousiours cela, qu’il n’eut pas seulement loisir de haranguer son armée. Auant cette grande battaille contre ceux de Tournay ; Cæsar, dict-il, ayant ordonné du reste, courut soudainement, où la fortune le porta, pour exhorter ses gens ; et rencontrant la dixiesme legion, il n’eut loisir de leur dire, sinon, qu’ils eussent souuenance de leur vertu accoustumée, qu’ils ne s’estonnassent point, et soustinsent hardiment l’effort des aduersaires : et par ce que l’ennemy estoit des-ia approché à vn iect de traict, il donna le signe de la battaille et de là estant passé soudainement ailleurs pour en encourager d’autres, il trouua qu’ils estoyent des-ia aux prises voyla ce qu’il en dit en ce lieu là. De vray, sa langue luy a faict en plusieurs lieux de bien notables seruices, et estoit de son temps mesme, son eloquence militaire en telle recommendation, que plusieurs en son armée recueilloyent ses harangues et par ce moyen, il en fut assemblé des volumes, qui ont duré long temps apres luy. Son parler auoit des graces particu-