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d’autres mérites, il ne m’a jamais paru qu’ils aient celui de se trouver aux prises avec les difficultés, car je n’en connais pas de pire que de se tenir en équilibre sur les flots de cette mer agitée qu’est le monde, de répondre et de satisfaire loyalement à tout ce qui est du ressort de la position que l’on occupe. Il est peut-être plus facile de s’abstenir d’une manière absolue de tout rapport avec le sexe féminin, que de se conduire toujours, à tous égards, d’une façon irréprochable avec sa femme ; nous avons moins de chance de nous perdre en état de pauvreté, que dans une abondance dont il nous faut user avec mesure ; l’usage dirigé par la raison, est plus pénible que l’abstinence ; se modérer est une vertu qui exige de plus grands efforts que souffrir. Il est mille façons de vivre convenablement, comme l’entendait Scipion le jeune, tandis qu’il n’y en a qu’une à la façon de Diogène ; et autant celle-ci surpasse en innocence la vie qui se mène d’ordinaire, autant elle-même est surpassée en utilité et en énergie par celles qui atteignent à la perfection et dont on dit que ce sont des existences accomplies.

CHAPITRE XXXIV.

Observations sur les moyens que Jules César employait à la guerre.

Selon Montaigne, les commentaires de César devraient être le bréviaire de tout homme de guerre. — On dit de plusieurs grands capitaines qu’ils ont eu une préférence marquée pour certains auteurs : Alexandre le Grand avait Homère : Scipion l’Africain, Xénophon ; Marcus Brutus, Polybe ; Charles Quint, Philippe de Comines ; de notre temps Machiavel est, dit-on, en crédit ailleurs ; mais feu le Maréchal Strozzi, qui pour sa part préférait César, avait incontestablement fait le meilleur choix. Les commentaires de César devraient, en effet, être le bréviaire de tout homme de guerre, car lui-même est le vrai et souverain modèle en art militaire ; et Dieu sait, en outre, avec quelle grâce, de quelle beauté il a agrémenté cette matière déjà si riche par elle-même ; son style y est si pur, si délicat, si parfait que, d’après mon goût, aucun écrit au monde sur ce sujet n’est comparable aux siens. — Je veux consigner ici quelques traits particuliers, qu’on rencontre rarement, qui se sont produits dans ses guerres et qui me reviennent en mémoire.

Pour rassurer ses troupes effrayées de la supériorité numérique de l’ennemi, il leur exagérait lui-même cette supériorité. — Son armée était quelque peu effrayée par les