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soudain changé leur sueur chaude en froide, ils expirerent entre les bras I’vn de l’autre.Ie m’en reuay à Cæsar. Ses plaisirs ne luy firent iamais desrober vne seule minute d’heure, ny destourner vn pas des occasions qui se presentoient pour son aggrandissement. Cette passion regenta en luy si souuerainement toutes les autres, et posseda son ame d’vne authorité si pleine, qu’elle l’emporta où elle voulut. Certes i’en suis despit : quand ie considere au demeurant, la grandeur de ce personnage, et les merueilleuses parties qui estoient en luy tant de suffisance en toute sorte de sçauoir, qu’il n’y a quasi science en quoy il n’ait escrit : il estoit tel orateur, que plusieurs ont preferé son cloquence à celle de Cicero et luy-mesmes, à mon aduis, n’estimoit luy deuoir guere en cette partie. Et ses deux Anticatons, furent principalement escrits pour contre-balancer le bien dire, que Cicero auoit employé en son Caton. Au demeurant, fut-il iamais ame si vigilante, si actiue, et si patiente de labeur que la sienne ? Et sans double, encore estoit elle embellie de plusieurs rares seniences de vertu, ie dy viues, naturelles, et non contrefaictes. Il estoit singulierement sobre, et si peu delicat en son manger, qu’Oppius recite, qu’vn iour luy ayant esté presenté à table, en quelque sauce de l’huyle medecinée, au lieu d’huyle simple, il en mangea largement, pour ne faire honte à son hoste. Vne autrefois, il fit fouetter son boulenger, pour luy auoir seruy d’autre pain que celuy du commun. Caton mesme auoit accoustumé de dire de luy, que c’estoit le premier homme sobre, qui se fust acheminé à la ruyne de son pays. Et quant à ce que ce mesme Caton l’appella vn iour yurongne, cela aduint en cette facon. Estans tous deux au Senat, où il se parloit du fait de la coniuration de Catilina, de laquelle Cæsar estoit soupçonné, on luy vint apporter de dehors, vn breuet à cachetes : Caton estimant que ce fust quelque chose, dequoy les coniurez l’aduertissent, le somma de le luy donner ce que Cæsar fut contrainct de faire, pour euiter vn plus grand soupçon. C’estoit de fortune vne lettre amoureuse, que Seruilia sœur de Caton luy escriuoit : Caton l’ayant leue, la luy reietta, en luy disant : Tien yurongne. Cela, dis-ie, fut plustost vn mot de desdain et de colere, qu’vn expres reproche de ce vice : comme souuent nous iniurions ceux qui nous faschent, des premieres iniures qui nous viennent à la bouche, quoy qu’elles ne soyent nullement deuës à ceux à qui nous les attachons. Ioinct que ce vice que Caton luy reproche, est merucilleusement voisin de